rouvre. Je vois mes livres, mes tableaux, toi, mon vieux Labrunie… Je rêve. Un sous-officier boche va entrer et me dire : « Comment allez-fous, lieutenant ? Foulez-fous un chournal bour afoir la févité ?… » Et il me tendait la Gazette des Ardennes, et je lisais, malgré moi. (il se passe les mains sur les yeux.) Ah ! ces derniers mois, ceux de l’internement, quel cauchemar ! Les autres, — toute une année à l’hôpital pourtant, — ça n’était rien. Souffrir dans sa chair occupe. Mais ces cinquante-cinq jours à Spandau, à fiévreusement attendre l’évacuation ! Se rendre compte qu’à douze heures de chemin de fer, l’existence même de votre pays est en train de se jouer ! On va tour à tour de l’extrémité de la crainte à l’extrémité de l’espérance. Mais c’est l’espérance qui domine. Quel coup, quand j’ai appris à la frontière suisse que la guerre avait à peine bougé depuis la Marne !
Évidemment, nous attendions mieux dans nos tranchées devant Ypres. Tout de même, les Allemands ne sont pas à Paris. Ils n’y viendront pas. Nous tenons le bon bout. Le vrai chagrin, vois-tu, c’est de ne pas être du coup de chien. Si mon bras était tout à fait guéri seulement ! Puisque c’est le gauche… (Il esquisse avec son bras droit le geste de lever l’épée.) J’ai encore eu plus de chance que toi : je n’ai pas été prisonnier, et le bras, ce n’est pas la poitrine. Hier, je n’ai rien osé te demander devant ta femme. Entre nous, où en es-tu ?
Voici ma balle de shrapnell. Regarde.
Tu as eu ce bijou-là dans le poumon ?
Oui, et toute la séquelle. Vous ne vous trompiez pas beaucoup quand vous m’avez cru mort : hémorragie, cœur dévié, pleurésie, opération sur opération…
Et maintenant ?