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VISITES AU FRONT.

nos têtes un bruit d’hélice, suivi d’une volée de coups de mitrailleuse. Bien haut dans le bleu, juste au-dessus de la ville morte, un aviatik planait : et tout autour, des centaines de shrapnells éclataient en touffes blanches dans le ciel d’été, comme les flocons de neige miraculeux de la légende italienne. Ils s’élevaient de plus en plus, à la poursuite du taube qui montait plus vite encore, jusqu’à ce que chasseurs et gibier se perdissent dans la brume et que la mitrailleuse se tût. Nous laissâmes Ypres enveloppée du même silence de mort où nous l’avions trouvée.

Nous revînmes à Poperinghe, où mes réfugiées des Flandres m’avaient demandé de chercher pour elles certains coussins spéciaux pour la fabrication des dentelles. Ce modèle est introuvable en France : on m’avait assuré que j’en pourrais découvrir dans un couvent de la ville. Mais lequel ?

Poperinghe, quoique peu atteinte par la guerre, est à peu près vide. C’est la désolation, mais sans désordre. On dirait une ville sur laquelle un mauvais génie aurait jeté un sort. Nous errâmes de quartier en quartier, à la recherche du couvent. Enfin, un passant nous montra une porte à laquelle nous nous mîmes en devoir de frapper. Une figure monastique apparut derrière le judas levé. Non, il n’y avait là aucun coussin de dentellières, et la religieuse n’avait jamais entendu prononcer le nom de l’ordre dont nous parlions. Mais il y avait encore les Pénitentes, les Bénédictines. Essayons…

Nous repartîmes. Une ou deux fois, nous vîmes s’encadrer dans les fenêtres des figures qui exprimaient le plus vif étonnement, car les rues étaient désertes. Enfin, nous arrivâmes à un couvent où il ne restait pas une seule religieuse, mais où le gardien nous laissa pénétrer. Ce fut un dédale de corridors bleu pâle ; un escalier glacial ; des chambres qui embaumaient la lavande ; une chapelle avec des saints dans des niches entre des bouquets de fleurs de papier, et, pour finir, une classe aux bancs alignés en face d’une statue de la Vierge en manteau bleu. Là, gisaient à terre des rangées et des rangées de coussins. Sur chacun d’eux un bout de dentelle était commencé ; ils avaient été abandonnés par les élèves et les religieuses dans la précipitation de la fuite. Pourtant aucune trace de désordre : les coussins étaient symétriquement alignés et un mouchoir était jeté sur chacun d’eux. Cet arrêt métho-