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dique de la vie paraissait plus triste que si tout eût été laissé dans le désarroi. C’était comme le symbole de l’activité paralysée de ce peuple tout entier. Hier, il y avait, dans cette maison, un petit monde de femmes et d’enfans occupé à une tâche utile, qui, aujourd’hui, erre sans foyer et sans pain. Et il en est ainsi dans des dizaines, dans des centaines de villes ouvertes, dans des milliers de maisons ! Les aiguilles du temps ont été arrêtées. Le cœur de la vie ne bat plus. Toute espérance, tout bonheur, toute industrie ont été étouffés, non pas pour réaliser quelque grand objet militaire, ou pour abréger les horreurs de la guerre, mais simplement parce que, partout où s’étend l’ombre de l’Allemagne, il faut que tout pourrisse dans sa racine…

Cet après-midi-là, ce fut partout le même spectacle. La même ombre fatale planait sur Furnes, Bergues et les petits villages voisins. L’Allemagne avait condamné ces pays à mort, et sa malédiction avait pénétré partout, achevant l’œuvre de ses bombes. Il faudrait emprunter le langage des lamentations de la Bible pour donner une idée de ce pays dont la vie s’est retirée.

À la fin du jour, nous arrivâmes à Dunkerque qui s’étendait paisible entre son port et ses canaux. La ville s’était complètement vidée après le bombardement du mois de mai. Place Jean Bart tous les magasins étaient fermés et les cafés déserts : l’hôtel restait ouvert ; l’idée nous vint que Dunkerque serait un centre commode pour les excursions que nous projetions : nous décidâmes donc d’y revenir le soir suivant. Puis, nous repartîmes pour Cassel.

Dans les dunes, 22 juin.

Au réveil, ma première pensée fut : « Comme le temps passe ! Ce doit être le 14 juillet ! » Je me soulevai dans mon lit en entendant le canon, et peu à peu je me rendis compte que j’étais à l’auberge de l’Homme-Sauvage à Cassel, et que nous étions le 22 juin.

Mais, alors quoi ? — Sans doute un taube que bombardent tous les canons de la place… Tout en faisant ces réflexions, je m’étais à peu près habillée, j’avais dégringolé l’escalier, tiré les lourds verrous de la porte et je m’étais élancée sur la place. Il était quatre heures du matin environ : le moment le plus