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nous pria, — une prière qui était un ordre, — de renoncer à y retourner le soir.

Après déjeuner, nous continuâmes vers le Nord, du côté des dunes. Tous les villages que nous traversions étaient évacués : les uns complètement vides et morts ; les autres, occupés par les troupes. Bientôt nous vîmes un groupe d’automobiles militaires rangés le long de la route et nous aperçûmes un champ où manœuvraient des troupes. « L’amiral Ronarc’h, » nous dit l’officier d’état-major ; et nous comprîmes que nous avions eu la bonne fortune de nous trouver là au moment où le héros de Dixmude passait en revue les fusiliers marins et les territoriaux dont la magnifique défense avait ajouté, au mois d’octobre, de nouveaux lauriers à toutes les gloires de cette ville tant de fois assiégée.

Nous arrêtâmes la voiture et montâmes sur un talus qui dominait le champ. Il faisait grand vent et on entendait distinctement le son du canon venant du front. Le soleil, à travers les nuages de sable que le vent soulevait, éclairait des plaines pâles, de grandes étendues sablonneuses et des moulins à vent gris. On ne voyait rien dans ce désert que cette poignée d’hommes défilant devant les officiers, au bord du champ. L’amiral Ronarc’h en grand uniforme, ganté de blanc, se tenait un peu en avant, un jeune officier de marine à ses côtés. Il venait de distribuer des médailles à ses fusiliers et à ses territoriaux. Ceux-ci défilaient devant lui, drapeaux déployés, musique en tête. Chacun de ces hommes était un héros, et il n’y en avait pas un qui n’eût vu des horreurs à faire frissonner les plus braves. Ils avaient perdu Dixmude, — pour un moment, — mais avaient gagné une gloire immortelle, et l’âme de leur résistance épique avait été cet officier d’aspect tranquille que nous voyions là, droit et grave, en grand uniforme et en gants blancs.

Il faut avoir été dans le Nord pour comprendre les liens étroits qui unissent, dans ce pays où le combat est continuel et acharné, les soldats et les officiers qui les commandent. Le sentiment du chef pour ses hommes est presque de la vénération : celui des soldats, une affection reconnaissante pour ces officiers qui ont partagé tous leurs dangers. Ce sentiment réciproque se traduit par mille signes insaisissables : mais rien ne l’exprime mieux que la manière dont les officiers prononcent ces deux