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VISITES AU FRONT.

exquis d’une aurore d’été. Malgré le bruit, Cassel semblait encore endormie. Quelques soldats, en faction sur la place, me montrèrent dans la pureté du ciel un petit nuage blanc derrière lequel, me dirent-ils, un taube venait de disparaître. Évidemment Cassel était blasée sur les taubes : je sentis que mon émoi exagéré n’était pas de saison : encore un instant, je regardai le petit nuage blanc, puis je me glissai dans l’hôtel, et je regagnai ma chambre. Dans l’escalier, je m’arrêtai pour regarder, par une fenêtre, les lignes des toits de la ville, les jardins et la plaine. Tout à coup, une autre détonation retentit et un panache de fumée blanche s’éleva, des arbres fruitiers, juste sous la fenêtre. C’était un dernier coup tiré sur le taube en fuite par un canon caché dans l’un de ces tranquilles jardins provinciaux, entre les maisons voisines ; sa présence si proche, si bien dissimulée, m’impressionna plus vivement que tout le fracas des canons de la forteresse.

Tout retomba dans le calme ; mais, à peine une heure s’était-elle écoulée, le silence fut déchiré par un vacarme effroyable qui me sembla le son de la trompette du Jugement dernier. L’auberge trembla sur sa base et toutes les vitres de mes fenêtres furent ébranlées. Cette fois, ce ne pouvait être que la voix puissante du gros canon de Dixmude ! À cinq reprises, pendant que je m’habillais, ce tonnerre secoua mes fenêtres et l’air vibra d’un bruit que je ne puis comparer, — si tant est qu’aucune comparaison puisse en donner l’idée, — qu’à celui de tous les rideaux de fer de tous les magasins du monde se fermant tous à la fois. Chose étonnante ! L’Homme-Sauvage et ses habitans n’en paraissaient pas autrement affectés.

Nous partîmes de bonne heure pour un état-major installé dans le voisinage : ce n’est qu’en sortant des portes de Cassel que nous pûmes juger des effets du bombardement : une usine à gaz pulvérisée, un champ transformé en un cratère du Vésuve. Il était pourtant assez consolant de constater la grotesque disproportion entre le bruit des bombes et le dommage causé par elles.

Nous eûmes, au quartier général, des détails sur les incidens du matin. Il paraît que Dunkerque avait été d’abord visitée par le taube qui vint ensuite repérer Cassel, : et le grand canon de Dixmude avait tourné toute sa rage contre le port français. Le bombardement de Dunkerque continuait, et on