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furent les villages de Saint-Georges, Ramscappelle, Pervyse. Seul, le canon, tonnant sans cesse, rompt le silence qui pèse sur ce paysage tragique.

En face de la cathédrale, un obus allemand a creusé un immense cratère surplombé de troncs d’arbres brisés, de broussailles brûlées et de vagues débris. À quelques pas de là, dans le coin le plus paisible de Nieuport, est le cimetière où les zouaves ont enterré leurs camarades. Les morts dorment en ligne au pied de la cathédrale et toute une collection de pieuses images recueillies dans les maisons dévastées repose sur les pierres de leurs tombes. Quelques-uns parmi les privilégiés sont gardés, dans leur dernier sommeil, par une armée de Saints et de Madones qui couvre toute la pierre : les soldats ont eu soin de placer sur les Vierges les plus fines et sur les Saints le plus brillamment enluminés les globes de verre qui, dans les maisons voisines, recouvraient jadis les pendules dorées et les couronnes de fleurs d’oranger.

De la tristesse de Nieuport, nous passâmes sans transition à la gaîté d’une petite colonie installée au bord de la mer. Là, les grands hôtels et les villas de la plage sont tous remplis de troupes revenant directement des tranchées. C’est comme une cure de repos sur le front. Au moment de notre arrivée, le régiment « au repos » était réuni sur un grand espace de sable entre les hôtels, et, au milieu, la musique jouait. Le colonel et les officiers écoutaient le concert, et, soudain, retentit la farouche Chanson des zouaves du …e zouaves. Rien de plus étrange que cette bande de figures hâlées et riantes sous les chéchias d’un rouge éclatant, se détachant sur le fond froid et sans soleil de la mer du Nord. Quand la musique se tut, l’un de nous qui avait un kodak proposa de faire un groupe : nous nous réunîmes, pour la pose, sur la terrasse d’un des hôtels : à cet instant, le colonel se retourna et attira sur le premier plan un petit soldat épanoui, marqué de la petite vérole. « Il vient d’être décoré : il faut qu’il soit du groupe. » Tous les autres officiers approuvèrent à l’unanimité. Le héros seul protesta : « Moi ? mais mon vilain museau va faire sauter la plaque ! » Il n’en fut rien…

Nous eûmes de la peine à nous arracher à cet intermède si reposant dans noire triste journée, pour prendre le chemin de La Panne. Encore de la poussière, des dunes et des villages