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VISITES AU FRONT.

déserts qui ont laissé dans ma mémoire une vision confuse. Mais au coucher du soleil, nous arrivâmes à une colonie de bains de mer s’étendant sur la plus longue plage que j’eusse jamais vue. Tout le long de la mer, une interminable esplanade bordée de ces absurdes villas qui sont partout et toujours les mêmes ; derrière ces villas, une unique rue pleine d’hôtels et de magasins. Toute la vie des pays déserts que nous avions traversés semblait s’être réfugiée à La Panne.

La longue rue fourmillait de soldats belges en uniformes sombres. Chaque magasin paraissait faire des affaires d’or, et les hôtels semblaient remplis comme des ruches d’abeilles.

La Panne, 23 juin.

Notre hôtel est à l’extrémité de l’esplanade, là où l’asphalte et les balustrades de fer cessent tout à coup, faisant place au sable et au maigre gazon des bords de la mer. Par ma fenêtre, ce matin, je ne vois que la ligne sans fin du sable jaune sur le fond gris de la mer et, sur le sommet des dunes, la silhouette solitaire d’une sentinelle.

Mais bientôt retentit une musique militaire, et de longues lignes de troupes apparaissent se dirigeant vers les dunes. À l’Est et à l’Ouest, le sable s’étend à l’infini formant un « Champ de Mars » où une armée manœuvrerait à l’aise. Ce matin, cavalerie et infanterie y font l’exercice. L’infanterie, avec ses uniformes sombres, se découpe en silhouette sur la plage jaune ; et les cavaliers galopant l’un derrière l’autre font penser à quelque frise noire de guerriers sur les flancs bruns d’un vase étrusque. Pendant plusieurs heures, ces mouvemens de troupes continuèrent au son des clairons, sous les yeux de la sentinelle solitaire ; puis les soldats rentrèrent dans la ville, et La Panne reprit le banal aspect d’un « Bain de mer. » Mais la banalité n’était qu’apparente, car en suivant l’esplanade on avait vite découvert que la ville était devenue une vraie citadelle et que toutes ces villas de poupées, derrière des grilles prétentieuses, affublées de noms puérils, « la Mouette, » « Mon Repos, » « les Algues, » et autres du même genre, n’étaient que des casernes belges. Dans la grande rue, on voyait des centaines de soldats, flânant deux par deux, formant des groupes, luttant et se taquinant comme des gamins en vacances, ou marchandant, dans les boutiques, des