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VISITES AU FRONT.

frise d’Assourbanipal. La route de Belfort, qui nous reconduit en Alsace reconquise, passe à travers un paysage riant de champs et de vergers. Nous gagnâmes Dannemarie, l’un des centres de l’administration nouvelle. C’est le classique gros bourg d’Alsace, avec de confortables vieilles maisons dans des jardins à espaliers. Non pas le cadre rêvé par ceux dont le patriotisme s’exalte à la pensée des petites Alsaciennes chantant la Marseillaise ou des vieillards embrassant le drapeau tricolore ; mais ce qu’il nous fut donné d’y voir avait un caractère autrement saisissant. Les fonctionnaires civils et militaires eurent la bonté et la patience de nous expliquer leurs efforts et de nous montrer quelques-uns des résultats qu’ils avaient obtenus : et cette visite nous laissa l’impression d’un système d’adaptation lent et sûr, sagement combiné et couronné d’un plein succès.

Finalement, nous les avons tout de même entendues chanter la Marseillaise, les petites filles de l’école de Dannemarie, — et les petits garçons aussi. — Mais ce qui nous intéressa bien davantage, ce fut de les voir travailler sous la direction des maîtres qui les avaient toujours dirigées et de constater que partout les fonctionnaires français s’étaient appliqués à ne pas déranger les habitudes du village. Les enseignes allemandes sont restées sur les boutiques, sauf quand les marchands les ont enlevées de leur plein gré, ce qui se produit de plus en plus fréquemment. S’il y a lieu de remplacer un fonctionnaire, il est choisi dans la même ville ou le même district ; le personnel de l’administration civile et militaire est principalement composé d’officiers et de civils de souche alsacienne. Les chefs de ces deux administrations qui nous accompagnaient pouvaient parler aux enfans et aux vieillards en allemand aussi bien que dans le dialecte du pays ; et nous fûmes frappés de voir à quel point tout avait été organisé de manière à rendre aussi peu fréquens que possible les difficultés et les froissemens inévitables dans la transition entre un régime et un autre. Ce qui rendait particulièrement intéressant ce procédé plein de tact et de tolérance, c’est qu’il semblait être le résultat non pas de la nécessité imposée par les circonstances, mais simplement de la compréhension intelligente du point de vue de ces populations de la frontière.