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REVUE DES DEUX MONDES.

18 août.

Ce matin encore, nous partîmes de bonne heure pour la région des montagnes. Notre route traversant le cœur des Vosges nous conduisit jusqu’au creux d’une colline près de la frontière de Lorraine. Au quartier général, on nous adjoignit un jeune officier de dragons qui nous annonça qu’il nous serait permis de visiter quelques-unes des tranchées de première ligne que nous avions aperçues du haut d’un poste d’observation, à notre précédente visite dans les Vosges. On se battait ferme de ce côté-là ; après une ou deux heures d’ascension, il fallut quitter l’automobile pour traverser la forêt à pied. Nous apercevions au-dessous de nous la grande route entièrement en vue des batteries allemandes. Lorsque nous arrivâmes à un point où cette route était masquée par une grande épaisseur d’arbres, nous pûmes la regagner. Un poste d’observation s’y trouvait : nous regardâmes par le créneau. À nos pieds s’étendait une vallée, avec un village situé au centre, entre deux collines, dont l’une était entaillée de tranchées françaises, l’autre de tranchées allemandes. Le village, à première vue, était semblable à tous ceux que nous venions de traverser ; mais on s’apercevait vite que son église était sans clocher et beaucoup de maisons sans toits. Ce village était occupé en partie par les Français, en partie par les Allemands : le cimetière, près de l’église, et une carrière toute voisine appartenaient aux Allemands ; mais une ligne de tranchées françaises allait de l’extrémité opposée de l’église rejoindre les batteries françaises de la colline à droite. Parallèle à cette ligne, mais partant de l’autre côté du village, un chemin creux conduisait à un arbre isolé. Ce sentier était la tranchée ennemie protégée par les canons allemands de la colline de gauche : entre les deux, la distance ne dépassait pas quarante mètres. Enfin, nous découvrions tout près de nous une pente traversée par un chemin champêtre, sur lequel on voyait une ligne de petits soldats français grimpant vers le village, chargés de sacs et de fagots et déployant une activité de fourmis sans que la présence des deux armées, qui étaient face à face à quelques mètres de là, troublât en rien leur travail.

C’était l’une de ces scènes de guerre étranges et contradictoires qui prouvent au spectateur combien il est difficile de