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passaient vite à des livres comme les Sententiæ pueriles et la Grammaire latine de Lilly, pour arriver à Sénèque, Térence, Cicéron, Virgile, Plaute, Ovide et Horace, En admettant même que le jeune Shakspeare ait quitté l’école dès l’âge de treize ans, il n’est pas le moins du monde invraisemblable qu’une fréquentation de quatre ou cinq années ait suffi à lui donner cette moyenne culture latine que supposent ses écrits. Des condisciples du dramaturge, qui se tournèrent vers le commerce, se montraient capables à l’occasion d’écrire des lettres en bon latin ou de les assaisonner de phrases latines, et il y eut à cette époque au moins un écolier de Stratford qui montra dans son âge mûr quelque familiarité avec la poésie française, puisque, trésorier de la commune en 1623, il inscrivait ce distique sur la couverture du registre municipal :


Heureux celui qui pour devenir sage
Du mal d’autrui fait son apprentissage[1].


Un homme de génie tire plus de parti qu’un autre de son bagage d’écolier, et tout lui devient, par la suite, occasion d’y ajouter. Là encore, ceux qui plaident l’ignorance nécessaire du « Stratfordien » modifient la réalité selon les besoins de leur cause.. Quand M. Demblon, par exemple, à la suite des Baconiens, nous donne Stratford comme une bourgade sans livres, il ne sait pas ou il oublie que « la littérature profane aussi bien que la théologie pénétrait dans les presbytères, et que des bibliothèques ornaient les grandes maisons du voisinage. » L’inventaire post mortem des effets mobiliers de John Marshall, curé de Bishopton, un hameau de Stratford, énumère 170 volumes, comprenant les Tristes d’Ovide, les Colloques d’Erasme, Virgile, les Problèmes d’Aristote, les Lettres de Cicéron, en dehors de la controverse théologique, des commentaires de l’Écriture et des manuels d’éducation. Sir George Carew, de Clopton House, à Stratford même, y achetait pour sa bibliothèque en 1598, c’est-à-dire dès la publication, le dictionnaire italien-anglais de John Florio, Un monde de mots.

Rien n’est donc plus simple, plus conforme aux données positives, que d’attribuer à Shakspeare une première éducation

  1. Voyez Catalogue of Shakspeare’s Birthplace, p. 115.