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suffisante. Et l’on expliquera non moins naturellement ensuite qu’il ait pu la développer, apprendre notamment un peu des deux langues si répandues alors en Angleterre : l’italien et le français. Nous avons à remplir, en effet, ce grand vide d’environ six années qui s’ouvre dans la vie de Shakspeare entre le départ de Stratford et les débuts d’auteur à Londres. Le plus sage n’est-il pas de supposer qu’elles furent des années de préparation et d’apprentissage ? Sir Sidney Lee, à qui n’échappe aucun détail propre à éclairer son sujet, nous apprend que le jeune Stratfordien put trouver dans la capitale un de ses compatriotes et voisins, exactement du même âge que lui : Richard Field, entré comme apprenti, dès 1579, à l’imprimerie de Thomas Vautrollier (un réfugié huguenot français), gérait alors la maison en l’absence du patron, dont il devait bientôt devenir le successeur et épouser la veuve. Un document légal atteste, d’autre part, que les pères des deux jeunes gens étaient amis, et c’est des presses de Richard Field que sortira, en 1593, le premier ouvrage imprimé de Shakspeare, Vénus et Adonis. Il ne saurait donc y avoir aucun doute sur leurs relations, et elles ont d’autant plus d’importance que Shakspeare put acquérir ou perfectionner dans ce milieu sa connaissance du français, y lire des livres écrits dans notre langue, y trouver notamment cette fameuse traduction des Vies de Plutarque, par sir Thomas North, éditée par Vautrollier dès 1579 et avec laquelle il devait se montrer plus tard si familier.

Parmi les traditions relatives à cette époque, il se trouve que les mieux fondées sont aussi celles qui rendent le mieux compte de ses débuts. Elles s’accordent à nous montrer Shakspeare dès cette période en rapports avec le monde des théâtres.

On peut admettre sur la foi de son filleul, sir William d’Avenant, le dramaturge, qu’il avait gardé les chevaux des gentilshommes à la porte d’un théâtre et organisé bientôt un service à cet effet. Cette tradition n’exclut pas d’ailleurs celle qui lui attribue, à l’intérieur du théâtre, des débuts très modestes d’employé plutôt que de comédien. Il dut traverser des momens difficiles et prendre les moyens de fortune qui s’offraient à lui. Ce qui est certain, c’est que nous perdons sa trace depuis son départ de Stratford à la fin de 1585 ou au commencement de 1586 jusqu’en 1592. Nous trouvons à cette