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absence de plus de dix années, dans sa ville natale ; et aussitôt la situation de la famille est transformée. Il n’y a plus de poursuites de créanciers contre John Shakspeare. Bientôt, celui-ci commence des démarches auprès du Collège héraldique pour obtenir des armoiries, et nous ne pouvons douter que ces négociations ne fussent dues à l’initiative du poète et menées par lui, car aujourd’hui encore, les postulans doivent, dans le cas où leur père est vivant, les conduire comme s’il était le principal intéressé.

Les relations de Shakspeare avec Stratford sont dès lors ininterrompues. Il y revenait de temps à autre parmi ses contemporains et faisait maintenant figure de personnage dans la cité. Le 4 mai 1597, il achète la plus belle maison, New Place, bâtie plus d’un siècle auparavant par sir Hugh Clopton, mais qui était fort abandonnée. Des lettres écrites au cours de l’année 1598 par des notables de Stratford ne laissent aucun doute sur le renom de richesse et d’influence qu’il acquit aussitôt dans sa ville natale.

A partir de 1611, il semble s’y être retiré d’une manière définitive. Non qu’il ait cessé alors de faire des séjours à Londres : ceux-ci se prolongèrent parfois plus d’un mois, et nous avons la preuve aussi qu’il resta fidèle jusqu’à la fin de ses jours aux amitiés formées dans la capitale avec ses confrères [1]. Après l’incendie du théâtre du Globe, le 29 juin 1613, il souscrit une somme de cent livres pour la reconstruction. On ne cessa de reprendre ses pièces sur l’une et l’autre scène, non plus que de les représenter à la Cour. Il n’en figure pas moins de six au programme des fêtes données pour le mariage de la princesse Elisabeth, fille du roi Jacques, avec l’électeur Palatin, au début du printemps de 1613, sans compter la pièce perdue de Cardenio, qu’on attribue à sa collaboration avec John Fletcher. Cette même année encore, nous l’avons vu collaborer avec Burbage à la devise du comte de Rutland. C’est à Heminge et Condell enfin qu’est due la première édition complète des Œuvres, le fameux in-folio de 1623.

Rien de plus naturel que cet hommage rendu par les deux principaux acteurs et directeurs de la troupe au génie de leur

  1. En 1605, Augustin Phillips, qui était comme lui un des premiers actionnaires du Globe, avait inscrit dans son testament : « A mon camarade William Shakspeare, une pièce de trente shillings en or. »