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Shakspeare. Celui-ci était encore un des interprètes. Dans la distribution primitive, les noms des auteurs sont disposés sur deux colonnes, celui de Shakspeare en tête de la seconde correspondant à celui de Burbage en tête de la première. On croit qu’il tenait le rôle de « Kno’well, vieux gentleman. » Il suffit donc d’interpréter des faits certains pour arriver à la conclusion que Shakspeare, en dehors même de sa qualité d’auteur, fut un personnage dans le monde du théâtre anglais contemporain.

La plupart des critiques qui se séparent de l’opinion traditionnelle ont voulu voir, dans la prospérité au moins relative de Shakspeare à partir de 1596, un des mystères de sa vie et une preuve en faveur de leur hypothèse : il aurait tout simplement vendu son nom. Sir Sidney Lee a repris et développé dans sa nouvelle édition, où elle forme un chapitre distinct, l’étude très précise des ressources du comédien-auteur, et il a établi, d’après des documens sur les conditions des acteurs, leurs salaires, les droits d’auteur, les représentations devant la Cour, etc., que le revenu moyen de Shakspeare avait dû être, antérieurement à 1599, d’environ cent cinquante livres par an, soit près de 4 000 francs, qui en représenteraient quelque vingt mille aujourd’hui. A partir de 1599, ces ressources augmentèrent dans des proportions considérables lorsque s’ouvrit le théâtre du Globe, dont Shakspeare était un des sept actionnaires. Il eut aussi des intérêts, au moins pendant les cinq dernières années de sa vie, dans le théâtre des Blackfriars. En additionnant ces bénéfices avec les profits des dédicaces et des patronages et le revenu des immeubles de Stratford, sir Sidney Lee arrive, pour les quatorze ou quinze dernières années, à un revenu moyen de sept cents livres sur lequel il fut possible à Shakspeare de compléter ses achats de maisons et de terres, qui s’élevèrent, entre 1599 et 1613, à une somme totale d’environ 25 000 francs d’alors, soit 120 000 d’aujourd’hui. Si l’on fait la part de l’exagération inévitable qui s’attache aux chiffres ronds, il n’y a donc rien d’invraisemblable dans cette affirmation de John Ward, curé de Stratford au XVIIe siècle, que le dramaturge y aurait vécu sur le pied de mille livres par an. Et il n’y aurait rien de mystérieux non plus dans cette richesse.

C’est probablement en 1596 qu’il était revenu, après une