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NOTES D’UNE INFIRMIÈRE À MOUDROS


Moudros, octobre 1915.

Hier soir, une magistrale ondée due à un violent orage nous a valu d’être réveillées en sursaut. Il pleuvait partout dans notre baraque. Il pleuvait sur notre petit lit de fer qui, chaque fois que l’on change de place, menace de s’effondrer. Il pleuvait le long des cloisons et, grâce au vont violent qui venait du Sud, j’ai reçu sur la tête et sur les épaules une vraie douche.

Depuis quelques jours, j’avais une grosse fièvre. Tout ce froid qui a pénétré chez moi m’a glacée jusqu’aux moelles. L’eau courait sur notre plancher. Il a fallu mettre des pierres sous nos cantines pour les préserver un peu. On a mis partout de la toile imperméabilisée. Nous nous sommes glissées dessous. On avait ouvert les parapluies, et on a attendu que la pluie voulût bien cesser. Ce mauvais temps a duré trois jours.

Dans leurs baraques, nos pauvres malades avaient été transpercés. Malgré la nuit noire, il a fallu les transporter ailleurs. On les entassa dans des pièces exiguës où il pleuvait moins fort...

Si vous aviez vu cet air de misère qu’avait notre hôpital quand le beau temps est revenu ! La boue vous montait jusqu’aux chevilles et on en avait plus haut que les genoux. Une boue grasse et tenace où on enfonçait et qui vous retenait. Il fallait se servir de cannes comme points d’appui si on ne voulait pas s’étendre tout de son long !

……………………..

Le mauvais temps a amené une recrudescence d’insectes. Deux énormes tarentules qui se promenaient en allongeant leurs longues pattes velues à l’intérieur de nos moustiquaires ont été les victimes d’une chasse soutenue et victorieuse... Un énorme cent-pieds a été trouvé dans les draps d’une de mes compagnes. Il avait eu froid, le pauvre ! On l’a tué aussi !

Et il y a les rats qui, sur les toits chaque soir, dansent une sarabande. Courses d’obstacles, courses au trot, nous avons toute la gamme... Les souris, elles, détiennent le record... Dans ma chambre pour laquelle elles ont une prédilection marquée, c’est plaisir de les voir s’époumoner... Dès que je souffle ma bougie, alors elles s’en donnent à cœur joie. Elles me dégringolent sur la figure, elles courent sur mon lit, elles grimpent,