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SCÈNES DE LA VIE KABYLE

DE LA FONTAINE AU LOGIS

Sept heures : brume et soleil. Les rayons jouent avec les chevelures aériennes qui s’échevèlent de pic à pic. Le petit sentier d’argile rouge, qui descend du village à la fontaine, voit passer des théories de sveltes femmes en tuniques de la nuance des fraises, des mandarines, des aubergines, des cerises. Sur leurs reins cambrés elles appuient la base de leurs longues amphores qui rappellent, par leur galbe, les hanches féminines. Ces Kabyles, comme le veut l’usage, se sont appelées de seuil à seuil, afin de descendre en groupe vers l’eau :

— Eho ! Seffa.

— Ia ! Ammama !

— Oh ! Fatima, Turkia, Djelma, Tekla.

Les voilà rassemblées qui s’acheminent les coudes nus levés, les mains aux poignées. Leurs anneaux, leurs bracelets, leurs diadèmes, leurs fibules, leurs chaînes tintinnabulent, tandis qu’elles longent les oliveraies cendrées et qu’elles baissent leurs têtes comme dans un salut sous les branches flexueuses des figuiers.

Au fond de la vallée l’oued languit parmi les lauriers-roses. Depuis plusieurs mois la pluie n’est pas tombée, et les villages altérés, dès l’aube, doivent envoyer leurs femmes aux fontaines. Comme les besoins de la défense en ces pays jadis en guerres perpétuelles obligèrent les Berbères à construire leurs logis au sommet de cruels rochers calcinés que pas une goutte de liquide n’abreuve, chaque jour, femmes et filles dépensent plusieurs heures à remplir aux sources de la vallée leurs vases