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65 000 quintaux d’épées, de poignards, et de baïonnettes, et plus de 27 000 quintaux de cordite, dynamite, et autres explosifs. « Certes, en un mot, l’Allemagne ne s’est point privée de pratiquer pour son compte, lorsqu’elle était neutre, cette vente de munitions à l’étranger qu’elle prétend, sans l’ombre de droit, nous défendre aujourd’hui ! »

Et pour ce qui est de ces « pacifistes » américains qui, au jugement de M. Roosevelt, se sont à jamais couverts d’opprobre en empêchant leur patrie d’intervenir en faveur de la Belgique, l’ex-président nous apprend encore que l’un de leurs argumens principaux consiste à soutenir l’obligation, pour les États-Unis, de demeurer neutres pendant toute la durée de la guerre, afin de pouvoir, ensuite, être choisis comme arbitres lorsqu’il s’agira de conclure la paix. La perspective d’un tel arbitrage exerce, nous dit-il, un attrait tout- puissant sur l’imagination du public américain. Mais sans parler même du prix fâcheux dont serait payé cet honneur avenir, M. Roosevelt estime qu’il n’y a guère de chance que les nations belligérantes recourent à l’arbitrage d’un peuple qu’elles se seront accoutumées à tenir en mépris. « Ou bien que si vraiment elles s’avisent de nous prendre pour arbitres, nous seuls, dans l’aveuglement de notre vanité, ne verrons pas que l’on nous aura fait jouer un métier de dupes. »


L’altitude des compatriotes de M. Roosevelt en présence de l’attentat commis contre la Belgique est même en vérité, pour l’ex-président, la mesure de leur degré d’ « américanisme. » Parler de la possibilité d’une paix qui ne serait point précédée d’une réparation totale de cet attentat, c’est « se montrer honteusement dépourvu de toute notion de moralité internationale ; » et M. Roosevelt ajoute que, pour sa part, il se refusera toujours à discuter aucune question de politique étrangère « avec un Américain qui ne commencera point par consentir aux risques d’une guerre pour défendre la cause sacrée de la Belgique. » Mais on entend bien que le souvenir de ce premier crime allemand ne l’empêche pas de s’indigner et de protester autant qu’il convient contre la longue série des forfaits qui ont suivi celui-là. « Lorsque les hommes qui dirigent la politique militaire d’un État, — écrivait-il dès le 9 mai 1915, en apprenant la catastrophe de la Lusitania, — lorsque ces hommes conseillent aux soldats de leur armée l’imitation des Huns, et les engagent à renouveler la terreur produite jadis par l’invasion des Huns, ils se rendent par là entièrement responsables de toutes les atrocités qui se produiront depuis lors, si même ils ne les ont pas expressément commandées.