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chère maman, on vous conduira près de votre mère, nous prierons pour vous ; vous prierez pour nous, et nous nous retrouverons bientôt... » Il ne m’est pas possible de me rappeler tous les mots touchans qu’ils se disaient réciproquement, mais toute mon âme était à l’unisson d’une telle douleur. Il tenait la main de sa mère, et moi, je tenais ces deux mains dans les miennes !

Petit à petit, la voix s’éloignait, les yeux devenaient fixes et le pauvre Prince éclatait en sanglots : « Bénissez-moi, ma mère, » s’écriait-il, « maman, je suis là, m’entendez-vous ? » Et, à chaque accent de cette voix chérie, un mouvement de la mourante répondait ! Elle était raide, un seul petit souffle restait encore dans sa poitrine oppressée, qu’un signe léger disait encore : « Je t’entends. » Tout était fini que nous restions glacés à la même place, abîmés par la douleur ! M. Tascher et M. Vieillard sont venus arracher de force le Prince à ce corps inanimé ! On a passé une bougie devant la bouche, plus tard une glace, et tout était fini. O mon Dieu ! la douleur que ce moment m’a fait éprouver me sera-t-elle comptée en expiation lorsque, à mon tour, je serai à ce moment suprême ! Les sanglots éclataient de toutes parts et, un moment, j’ai été hors de moi, M. Vieillard m’a prise dans ses bras et voulait m’emmener, mais je voulais remplir jusqu’au bout mes tristes devoirs. M. Conneau a renvoyé tout le monde, je suis restée avec lui et M. Kissel jusqu’à huit heures du matin près de ce corps qui conservait toute sa chaleur, toute sa souplesse et, à quelques mouvemens des yeux, on l’aurait pu croire vivant encore...

Mais on m’a rappelée pour la messe ; le trouble de ce moment m’empêche, de me souvenir si le Prince a eu le courage d’y venir aussi ;.. Après, nous avons causé un instant en bas. Dans des momens pareils, chacun prend sa douleur avec son caractère. M. Cottrau y mettait son exagération ordinaire. Je lui aurais pardonné, s’il n’était pas parti de là pour déblatérer, contre notre pauvre malheureux Prince, si bon, si noble, si supérieur à tout ! Dire qu’il n’est pas impressionnable ! Je l’ai quitté, impatientée, avec Mme Vieillard, qui dit qu’il lui donne sur les nerfs, elle qui a si peur que la moindre émotion lui fasse mal ! Je me suis jetée sur mon lit, mais j’ai été bientôt rappelée par Malvina de la part du Prince, pour lui dire où était une botte de fer-blanc qui devait se trouver dans le