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du type machiavélique du Prince, a connu le poids des impondérables. Or, dans la partie, d’un si gros enjeu, qui se dispute, tous les impondérables sont de notre côté. C’est de notre côté que sont le martyre de la Belgique, la torture de la Serbie, la patience de la Russie, l’opiniâtreté de l’Angleterre, l’enthousiasme de la France, l’élan généreux de l’Italie, le désintéressement, la probité, la fidélité de tous, la certitude qu’a chacun que, si grand qu’il soit, il collabore à une œuvre infiniment plus grande que lui. Le pâle successeur du Chancelier de fer, dont l’amoralité est d’un autre ordre, comme d’un bureaucrate à un reître, mais qui restera l’auteur de la théorie du « chiffon de papier, » ne peut pas ne pas sentir que partout la situation morale, la cote humaine de l’Entente est excellente, et que la réputation de l’Allemagne est chaque jour plus mauvaise. Vainement il alignera, en face des faits innombrables qui en témoignent, les boursouflures de sa froide et vide rhétorique. Son embarras n’éclate pas moins lorsqu’il parle que lorsqu’il se tait. Il vient enfin d’apporter au Reichstag, avec quinze jours de retard, l’exposé qu’il devait lui présenter le 15 mars, et qui n’a pas gagné à être retenu. Pour que ce discours rentré pût honorablement sortir, il eût fallu deux choses qui ne se sont pas produites : que Verdun eût été pris, et que la Conférence de Paris eût échoué. Le succès de la Conférence et l’échec de l’attaque ont mis en morceaux un ouvrage, péniblement échafaudé, dont les débris ne se rejoignent pas. Les Italiens, avec leur pénétration ordinaire, ont eu tôt fait de s’en apercevoir, et ils s’amusent de la gaucherie de M. de Bethmann-Hollweg, qu’ils secouent rudement. « Le discours d’avril du chancelier de l’Empire a dû être pensé en février, » remarque le Corriere della Sera, qui ajoute qu’en ce discours, d’un ton moyen entre « le rageur » et « le fanfaron, « « l’hypocrisie se mêle à l’audace et le sauvage au pathétique. » Le Giornale d’Italia n’est guère plus indulgent : « Le discours du Chancelier, dit-il, était préparé dans le ton majeur, comme il est prouvé par sa construction et par quelques apostrophes orgueilleuses. Mais, nonobstant la bonne volonté de l’orateur, il en est sorti une symphonie en ton mineur. » Quant à nous, dans cette harangue telle qu’elle nous est parvenue, ce qui nous frappe surtout, c’est le mépris où l’esprit allemand tient l’intelligence du reste des hommes. Nous savons bien, et nous l’avons fréquemment constaté, quelle est sa capacité d’absorption. Nous savons bien aussi, — comment l’oublierions-nous ? — qu’il y a des siècles que l’Allemand est jugé : natum mendacio genus. Mais, tout de même, qu’il croie qu’on va le croire, tant de naïveté