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Fenians, qu’on rattachait, il y a cinquante ans, aux Feini, le plus méridional des trois peuples primitifs qui habitaient Erin ; et quant à ces Feini, on les faisait descendre ni plus ni moins que d’un certain Fenius, roi de Phénicie, qui aurait été le Francus de l’Irlande, le héros troyen que toute nation un peu fière se doit d’inscrire en tête de sa généalogie. Pour nous en tenir à une filiation plus certaine, les Sinn-Feiners se relient aux Fenians, qui continuaient la Jeune-Irlande, laquelle perpétuait les Irlandais-Unis, les Enfans-Blancs, les Enfans-du-Chêne, les Enfans-de-1’Acier, les Pieds-Blancs, les Pieds-Noirs.

Le but ou l’objectif est le même. L’autre jour, Connolly, « commandant militaire des forces républicaines de Dublin, » grimpé sur le toit d’un tramway, harangua la foule en ces termes : « Concitoyens ! Nous avons conquis l’Irlande et occupé le siège du gouvernement. Tous les Irlandais ont le devoir de nous aider, et en leur nom je proclame la République d’Irlande. » Aussitôt, symboliquement, une grande affiche où flamboyait, en énormes caractères rouges : « Proclamation de la République irlandaise, » fut étendue, comme un drap, barrant le trottoir. La nouvelle République, — the Irish Republic, — a son journal : Irish War News ; il publie le communiqué du « général G. H. Pearse, commandant suprême de l’armée et président du Gouvernement provisoire, » qui vaut d’être conservé par curiosité : « La République irlandaise, disait le Bulletin, a été proclamée le lundi de Pâques, 24 avril, à midi. Simultanément, la division de Dublin de l’armée républicaine, y compris les volontaires irlandais de la milice citoyenne, occupait les positions dominantes de la cité. La bannière républicaine flotte sur le palais de la poste. » Mais combien de fois depuis la Révolution française, et même depuis la Révolution d’Amérique, cet étendard n’avait-il pas été déployé, combien de fois la République irlandaise proclamée ! Toujours en vain ; cette fois plus vainement que jamais.

Les personnages sont les mêmes, c’est-à-dire que d’autres hommes, affublés des mêmes oripeaux, jouent le même rôle. Par génération spontanée, « les généraux » foisonnent. « On appelait général quiconque portait un revolver. » C’est un phénomène universellement constaté aux heures d’anarchie : le pavé des villes devient d’une fécondité incroyable ; il y pousse à vue d’œil des chefs improvisés. Leur cas n’est pas exempt de quelque cabotinage : plus d’un prend son parti de monter plus tard sur l’échafaud, s’il monte d’abord sur le théâtre. La « Comtesse verte, » au moment de se rendre, l’autre jour, baisa dévotement la crosse de son browning.