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curieuses coutumes de son pays, aux bords lointains et presque perdus de l’Adriatique, en rendent éternellement témoignage. Là-bas, « hommes et femmes exprimaient sans trêve leur âme par le chant. Tous, ils accompagnaient par le chant toutes leurs œuvres, celles du dedans et celles du dehors ; tous, ils célébraient par le chant et la vie et la mort. Autour des berceaux, autour des cercueils, ondoyaient les mélopées lentes et répétées, très vieilles, aussi vieilles peut-être que la race dont elles traduisaient la tristesse profonde. Tristes, graves, et fixées dans un rythme jamais altéré, elles semblaient des fragmens d’hymnes appartenant à d’immémoriales liturgies et survivant à la ruine de je ne sais quel mythe primordial. Elles étaient en petit nombre, mais si puissantes, que les chansons nouvelles n’étaient pas capables d’en combattre ou d’en amoindrir le pouvoir. Elles se transmettaient de génération en génération comme un héritage intérieur, inhérent à la substance corporelle. Chacun, en s’éveillant à la vie, les entendait résonner en soi-même comme un langage inné auquel la voix donnait les formes sensibles. A l’égal des montagnes, des vallées et des fleuves, à l’égal des coutumes, des vices, des vertus et des croyances, elles participaient de la structure du pays et de la race. Elles étaient immortelles comme la glèbe et comme le sang. »

Souhaitez-vous d’ouïr une autre musique ? Après celle du peuple, celle d’un seul, d’un grand virtuose ? Retournez, en compagnie de Giorgio Aurispa, dans la chambre déserte. Avec le survivant, évoquez la figure du mort : ce visage haut et mince, un peu courbé, ce cou long et pâle, ces cheveux rejetés en arrière et cette mèche blanche au milieu d’un front extraordinairement pur. Il a pris son violon. Déjà, vous croyez le voir et bientôt vous croirez l’entendre. Il n’existe pas de plus beau portrait, plus vivant, surtout plus chantant, d’un violoniste ; non pas au repos, comme celui que Raphaël a peint, mais dans la chaleur, dans le feu de l’action : tel celui que notre Sully Prudhomme a tracé, mais plus sombre, plus inspiré, plus pathétique encore.

Si d’Annunzio ne dit pas avec Verlaine : « De la musique avant toute chose, » à toute chose, il mêle de la musique. Il a fait des vers sur un morceau de Grieg et sur un adagio de Brahms. Une de ses poésies a pour titre : « Sopra un’ aria antica. » Une autre s’appelle : « Romanza della donna velata. » Il y est