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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/196

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question de musique et d’un songe, d’un jour d’automne, où le soleil, dans le ciel blanc, luisait comme une grande opale. Le piano brillait dans l’ombre, et « dans l’enchantement souverain du jour mourant, la musique coulait avec une telle douceur, que mon pauvre cœur humain ne put la soutenir. » Autant qu’à la sensibilité du poète, pour sa joie, et quelquefois pour son tourment, la musique est unie à son imagination. Elle la peuple défigures magnifiques ou charmantes. C’est « avril, le jeune troubadour, » qui, « sur les roseaux sonores, chante la bienvenue aux avoines naissantes. » Ou bien encore, cette silhouette de femme : « Elle tenait, de ses deux mains élevées, une grande lyre ; et, marchant au-devant du soleil, on voyait à travers les cordes son visage resplendir. »

Pour témoigner de quel amour ce maître du verbe aime la musique et quelle ardeur il met à la poursuivre, quel est son désir, sa fièvre de l’atteindre et de la posséder elle aussi, il suffirait de cette phrase, écrite à propos de guerre et de beauté, de génie et de conquête : « Une mélodie vaut une province. » Ailleurs, avec plus d’effusion et de lyrisme, le héros du Feu, Stelio Effrena, le mieux nommé parmi tant de frénétiques héros, s’anime, s’exalte presque jusqu’à l’égarement. Dans un formidable ouragan dont Venise est secouée tout entière, il ne croit, ne veut entendre qu’une voix : « Ah ! je t’ai saisie, » s’écria Stelio avec une joie triomphante. » La ligne entière de la mélodie s’était révélée, lui appartenait maintenant, immortelle dans son esprit et dans le monde. De toutes les choses vivantes, nulle ne lui parut plus vivante que celle-là. Sa propre vie même cédait à la puissance illimitée de cette idée sonore, à la force génératrice de ce germe capable de développemens infinis. Il l’imaginait plongée dans la mer symphonique où elle se déployait sous mille aspects jusqu’à sa perfection. « Daniele, » cria-t-il à son ami, « Daniele, j’ai trouvé ! »

Puis il ajoute : « C’est vrai, Daniele, ce dont tu m’as fait part un jour : la voix des choses est essentiellement différente de leur son… Le son du vent imite tantôt les gémissemens d’une multitude frappée d’épouvante, tantôt les hurlemens des fauves, tantôt le fracas des cataractes, tantôt le frémissement des étendards déployés, tantôt le défi, tantôt la menace, tantôt le désespoir. La voix du vent est la synthèse de tous ces bruits : c’est la voix qui chante et qui raconte le travail