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véritable soulagement de la conscience publique. Ensuite, la pitié pour les malheurs de la Belgique, puis pour ceux de la Serbie, cette pitié tout instinctive contribua extraordinairement à développer et à exaspérer la haine contre le Tédesque, autrichien ou allemand. On ne dira jamais assez quel adjuvant fut, pour l’effort interventionniste, la violation des petits États, de la Belgique surtout. Les discours enflammés des députés belges qui parcouraient le pays, les Lorand, les Mélot, les Destrée, déchaînaient partout une indignation qui ne pouvait pas tarder à se traduire en hostilité déclarée. L’éloquence même était inutile : il suffisait d’être Belge pour conquérir le cœur des foules. Maeterlinck n’avait qu’à se montrer pour susciter de frénétiques ovations. On me contait qu’à Milan il fut littéralement couvert de fleurs. Lui, avec sa dévotion d’homme du Nord pour les fleurs comme pour les arbres, il se détournait modestement, dans la crainte de les écraser. Et, comme on en jetait toujours, ce triomphateur malgré lui ne savait plus où poser le pied…

Auparavant, après la bataille de Charleroi, on avait eu peur de se trouver seuls en face du colosse germanique victorieux. Puis, après la victoire de la Marne, la constatation qu’il n’était pas invincible fit rebondir soudain le sentiment national. Les moins clairvoyans comprirent alors que, seule, une intervention contre les Empires centraux pouvait sauver les destinées de l’Italie. Néanmoins, le risque était grand pour un pays qui ne s’était pas préparé à la guerre. Dans une lourde angoisse, on attendit la décision du gouvernement. Mais, dès qu’elle fut connue, tout le monde accepta le fait accompli. Sans exception, tous les partis décidèrent qu’ils feraient jusqu’au bout leur devoir patriotique. Évidemment, plusieurs se réservèrent, dans leur conscience, le droit de juger et de se prononcer plus tard sur l’opportunité et l’utilité de cette guerre. Telles furent leurs dispositions du début. Mais, maintenant que la menace autrichienne est plus prochaine et que le développement logique de la guerre impose à l’Italie des obligations de plus en plus strictes et pressantes, toute arrière-pensée tend à s’évanouir devant la nécessité de s’engager à fond. Et ainsi, malgré les réserves encore affirmées ou sous-entendues par certains partis, on peut dire que, pratiquement, l’unité de l’effort national est réalisée, et que l’intensité de cet effort ne cesse de s’accroître.