Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Où l’accord se manifeste avec la plus complète franchise, en même temps que l’adhésion la plus généreuse au programme des Alliés, c’est, naturellement, chez nos amis de la première heure, — tous ces démocrates et ces radicaux de gouvernement, qui collaborèrent si énergiquement à l’intervention. Ce groupe est loin d’être homogène, puisqu’il comprend, avec des monarchistes de gauche, des républicains et des socialistes indépendans, ou, comme on les appelle en Italie, des évolutionnistes, enfin tous ceux qui croient pouvoir réaliser par la royauté les aspirations pratiques de la démocratie.

Quelles que soient ses convictions personnelles, le Français qui traverse ces milieux y rencontre l’accueil le plus cordial, pour ne pas dire le plus fraternel. Il y retrouve l’air de son pays. L’éducation est française, comme les tendances, les préférences intellectuelles et littéraires, les idées, le vocabulaire, et même la rhétorique. On y entend les formules auxquelles nous ont habitués nos journaux : « triomphe du Droit et de la Justice, combat pour la Liberté et la Civilisation, destruction du militarisme prussien, sauvegarde des nationalités. » On y admire et on y cite avec prédilection nos grands auteurs républicains, Victor Hugo, Michelet, Anatole France. Sortis presque tous de la moyenne bourgeoisie, avocats, journalistes, médecins ou professeurs, tous ces démocrates italiens sont volontiers grandiloquens, ils parlent, ils écrivent, ils se répandent en articles, en discours et en conférences. S’ils sont des professionnels, des spécialistes de la science et de l’érudition, ils vous montrent, preuves en main, qu’ils n’ont pas attendu la guerre, pour secouer le joug de la culture allemande. Si ce sont des hommes politiques, ils vous chargent les mains de brochures, où, longtemps avant la tourmente actuelle, ils dénonçaient le péril allemand et l’équivoque de la Triplice. S’ils sont militaires, — et beaucoup d’entre eux ont été mobilisés, — ils se piquent avant tout d’être des intellectuels.

J’ai eu l’occasion de m’entretenir plusieurs fois avec des officiers de territoriale, qui allaient rejoindre leurs corps dans le Trentin, la partie la plus exposée du front. Fendant ces derniers soirs, qui étaient, pour eux, de véritables veillées d’armes, ils mettaient une sorte de crânerie à ne parler que de sujets