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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/310

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n’y a pas d’action d’éclat, il y a le devoir. On vous commande d’aller là, on y va, voilà tout. » « Je pleure malgré moi, écrit le 4 août 1914 à ses parens un tendre et noble fils, le sous-lieutenant Morillot, mais l’idée du devoir me réconforte, et je partirai sans faiblir. »

Le professeur enfin comprend et fait comprendre autour de lui le sens et la grandeur des événemens qu’il vit. Il éprouve d’y être mêlé une fierté et comme une jouissance d’ordre esthétique et moral tout à la fois. « Tu sais, cela vaut la peine de risquer sa peau. C’est de la vie condensée… Frôler, à toute heure, à toutes minutes, de sublimes réalités, consentir librement un noble sacrifice ! Je vis. » Héroïsme un peu égoïste celui-là. Celui-ci l’est moins. C’est un instituteur qui me fit à moi-même l’honneur d’écrire ce qui suit :


Même sous le canon, nous n’oublions pas l’idéal pour lequel nous combattons. De savoir que l’accomplissement de notre devoir actuel dépasse en portée et notre personne et notre temps, et même notre pays, — puisqu’il intéresse l’humanité au sens le plus profond et complet du mot, — nous est un stimulant d’une vigueur incalculable. Ce sentiment, vous ne le trouverez pas seulement chez ceux qu’une certaine culture a affinés et rendus pleinement consciens du rôle qu’ils jouent ; vous le retrouverez très puissant, — bien que nécessairement un peu vague, — chez les plus humbles et les moins cultivés des soldats.


Chez quelques-uns, l’idéal prend la forme touchante des têtes blondes qu’ils connaissent bien ; ils se battent pour l’avenir ; ils se battent pour leurs élèves : « Puisque c’est pour eux, allons-y ! » De toute façon ils ont senti, dans l’appel aux armes de 1914, un appel simultané aux idées, à celles qu’ils enseignent, à tout ce qui fait leur raison d’exister à eux, si cela fait aussi pour d’autres le prix de la vie. Aussi ont-ils conscience de continuer, en combattant, leur métier, de le faire même mieux que jamais, puisque professer c’est aussi faire profession, et que jamais ils n’auront l’occasion d’un pareil acte de foi.


Quand je parlais à nos enfans de liberté et de patrie, quand, pour commenter un texte de Tite-Live ou de Montesquieu, de Platon ou de Corneille, je tâchais de faire germer ou d’exalter en eux les vertus civiques, je mettais bien toute mon âme dans ce que je disais, et ils le sentaient à mon accent. Mais je n’avais pas encore payé de ma personne, je n’avais pas été soldat ; j’étais passé directement des bancs de l’école à la chaire du professeur ; je connaissais la France de l’histoire et des livres, si