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nos impôts futurs pour le bénéfice de quelques métallurgistes et constructeurs ? Encore la plupart de ceux-ci ne seront pas très flattés de voir s’augmenter le nombre des mines et usines concurrentes… C’est donc pour fournir plus de travail à nos ouvriers ?… Mais, des ouvriers, nous en manquons déjà et nous en manquerons de plus en plus. Donc, cédons sur ce détail et finissons-en. »

Ce raisonnement spécieux, si on ne le fait pas tout haut en France, les Allemands nous le suggéreront abondamment par l’intermédiaire des neutres, qui, tout en trouvant profit à la guerre, voudraient mettre ce profit « au sec » et consolider des créances sur les belligérans, exposées à être compromises par leur irrémédiable faillite. Et certains compères d’Allemagne soi-disant dissidens, des Liebknecht, Haase ou autres, chargés par le gouvernement allemand de jouer le rôle d’agens provocateurs, trouveront bien le moyen de faire parvenir l’idée a nos naïfs socialistes. Mais c’est ici qu’il faut nous tenir en garde ; car l’enjeu réel est beaucoup moins l’avenir immédiat de notre industrie pendant la paix, que l’assurance de cette paix future (dans les limites de temps où l’on peut prétendre assurer l’avenir). Discutable pour le temps de paix, le problème se pose avec une clarté lumineuse pour le temps de guerre. Laisser la sidérurgie allemande florissante, c’est lui permettre, après la guerre, de reconquérir aussitôt le marché mondial en écrasant la concurrence débile de nos usines ruinées et pillées, de nos flottes fatiguées et amoindries ; c’est lui fournir le moyen de préparer une prompte revanche. La détruire, ou tout au moins charger au-dessous d’elle une mine prête à sauter comme on mine d’avance un tunnel ou un pont, c’est, je l’ai dit déjà, mais j’y insiste, empêcher nos ennemis de nous attaquer plus tard. Or, quand on réfléchit à cela, toutes les considérations commerciales, que j’ai cru devoir exposer tout à l’heure, se retournent entièrement. Ce que coûte une guerre, nous le savons… ou plutôt, malheureusement, nous ne pouvons encore en donner qu’une évaluation minima, c’est 50, 80, 100 milliards : ce sera, après la paix, le prix de la vie doublé. En excluant même toute considération sentimentale (chose presque impossible à un Latin, à un Français), le bilan d’une opération incomplète apparaît désastreux. Il semblait tout à l’heure que les Allemands eussent seuls intérêt à résister sur ce point jusqu’à la dernière