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baptême ne l’étonna point. Alvarez avait du reste remarqué des analogies singulières entre le culte japonais et le culte chrétien : les femmes allaient aux temples avec de gros chapelets, et il avait ouï dire que bien des hommes expiaient leurs fautes au fond des monastères. François ne perdait pas un mot de ce récit, et ses yeux s’abaissaient doucement sur le visage impénétrable et souriant du Japonais, qui regardait la terre.

Dès qu’on fut à Malaca, Yagirô s’était présenté au vicaire et lui avait exposé son désir de se faire chrétien avant de retourner au pays, où il avait laissé sa femme : « Vous êtes donc marié ? » lui demanda le vicaire. — « Je suis marié. » — « Et vous irez rejoindre votre femme, une païenne ? » Yagirô lui avoua que c’était son intention. « Alors, reprit le vicaire, il faut que vous renonciez au baptême : je ne puis baptiser un homme qui compte vivre encore avec une femme païenne. » François interrompt : « Etes-vous certain, mon ami Alvarez, que les choses se sont ainsi passées ? » — « J’y étais, très cher Père, et je fus même assez surpris, car je sais que vous avez souvent baptisé des femmes dont le mari restait païen, et des hommes dont la femme n’était pas encore chrétienne. Et je dis à mon ami : « C’est dommage que le Père maître François ne soit pas ici : il vous aurait baptisé, lui. » François soupire et pense en lui-même : « Quelle pitié qu’on ait dans les missions des prêtres aussi ignorans des lois de l’Eglise ! »

Repoussé par le vicaire, Yagirô était reparti pour la Chine, et là, il s’était embarqué sur un vaisseau qui devait le ramener au Japon. Il n’était pas à plus de vingt lieues de son pays, qu’une épouvantable tempête le força de regagner les côtes chinoises. Justement, un bateau portugais y était en partance, et un de ceux qui le montaient lui assura que, cette fois, sûrement, il rencontrerait le Père à Malaca. « Et le voici, Maître François. Dieu ne voulait pas qu’il rentrât chez lui sans vous avoir vu. » — « Christ Jésus, très sainte Trinité ! murmure François, car, dans toutes ses émotions, ces mots lui montaient naturellement aux lèvres. Dieu vous récompense, mon ami Alvarez ! Mais je ne vous tiens pas quitte. Vous me coucherez par écrit tout ce que vous avez vu et observé au Japon, afin que nous fassions connaître ce pays au roi de Portugal et à nos chers Pères de Rome. Et vous, mon enfant, remercions Dieu ensemble d’avoir placé sur votre route des hommes si dévoués