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au salut de votre âme. » Il lui a pris la main, il lui caresse l’épaule. Yagirô est habitué à des manières douces, mais régulières et froides. Il rougit de la surprise et de la fierté que lui cause l’effusion de cet accueil insolite. A vrai dire, il ne comprend pas très bien qu’un homme d’aussi haute renommée, un des bonzes les plus vénérés parmi les bonzes de l’Occident, se comporte aussi familièrement à l’égard d’un inconnu. En d’autres circonstances, il aurait vu là une marque de faiblesse, un manque de dignité, et il n’en aurait conçu qu’une plus belle opinion de lui-même et de sa race. Mais l’homme qu’il avait en face de lui ne ressemblait à aucun des hommes qu’il avait encore rencontrés. Et le doux saisissement qu’il éprouvait donnait un sens à toutes les complications de sa vie, depuis la nuit de sa fuite jusqu’au jour où, pour la seconde fois, il avait abordé à Malaca.

C’est ainsi que, d’après une lettre de lui et d’après le rapport d’Alvarez, on peut se représenter la première rencontre de François de Xavier et du Japon. Sans l’inintelligence d’un vicaire et sans une tempête, François, qui n’avait plus que quatre ans à vivre, n’aurait point acquis ce qui fait la moitié de sa gloire, pour ne pas dire plus, aux yeux de la postérité.

Pendant huit jours, Yagirô vécut à ses côtés. L’apôtre n’avait pas encore trouvé en Asie de catéchumène comparable. Le Japonais assistait à ses instructions sur la doctrine chrétienne et prenait des notes comme jadis ses élèves du collège de Dormans-Beauvais. Et ce que François disait en public ne lui suffisait pas : il le questionnait sur les points qu’il craignait d’avoir mal compris. Songez à la joie d’un maître qui, pour la première fois, est interrogé par un élève. Jusqu’à présent il n’a parlé qu’à des ignorans dont la docilité était aussi irraisonnée que leur indocilité ou à des savans, comme les brahmes, qui, persuadés qu’il ne savait rien, ne consentaient même pas à discuter avec lui. Et il s’est vainement adressé à leur raison. Un instinct très sûr, — nous en avons la preuve dans son catéchisme traduit en langue malaise, — l’avertit de ne pas trop insister sur le côté surnaturel de la religion. Il n’a point peur d’offusquer l’entendement de ses auditeurs ; mais il se propose avant tout de les ramener par la foi à l’observation de la loi naturelle. Il semble s’être rendu compte que le merveilleux chrétien n’était pas assez merveilleux pour agir sur des esprits saturés