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puissance d’illusion ! Quel ressort incomparable ! Jamais lassé, jamais vaincu. Ses déceptions le font rebondir plus haut et plus loin.


X. — L’ARRIVEE AU JAPON

François emmenait avec lui Yagirô, le Père Cosme de Torrès, récemment admis dans la Compagnie de Jésus, et un jeune Portugais, Juan Fernandez, qu’un coup de la grâce avait retiré du monde et jeté dans l’apostolat. Le choix de ces deux missionnaires était excellent. Cosme de Torrès avait la passion des aventures ; ses longs voyages l’avaient endurci à tous les labeurs ; et il suivait François comme l’étoile apparue au plus sombre de sa nuit. Quant à Juan Fernandez, qui, par amour de l’humilité, avait refusé l’ordination pour rester frère, il offrait à François la garantie d’une obéissance absolue ; et son éducation mondaine était un avantage quand on allait chez un peuple dont on connaissait déjà la politesse raffinée.

Partis le 25 avril, les voyageurs entrèrent au port de Malaca le dernier jour de mai 1549. Ni tempêtes, ni pirates : la mer souriait à l’entreprise. Mais François est triste, de cette tristesse qui surprend souvent les hommes les plus énergiques à la veille du dernier grand effort que réclame la réalisation de leur rêve. L’image des dangers où il court, et que ses amis ont encore exagérés, a peut-être ébranlé son esprit. Et il se mêle à ce sentiment le souvenir des reproches qu’ils lui ont adressés et que pourraient lui adresser les Pères de Rome : on l’a accusé de tenter Dieu. Non ! C’est Dieu qui le pousse vers ces terres lointaines. Il est sûr de ne vouloir que ce que Dieu veut. Et il éprouve, dans ses premières lettres, le besoin de justifier sa conduite. On sent aussi qu’il ne parvient pas à écarter de sa pensée les appréhensions que lui cause Gomez. En écrivant aux missionnaires de Goa, il s’applique à prévenir tous les froissemens d’amour-propre possibles et probables entre les Pères et lui ; et, en écrivant à Simon Rodriguez et à Ignace, il insiste sur la nécessité de nommer un Supérieur pour les Indes, qui ne ressemble pas à Gomez, mais qui le décharge de son autorité, et qui le laisse aux prises avec l’inconnu, sans autre souci que celui des vents, des flots et des âmes.

Malaca fit fête à son apôtre ; et il y fut satisfait du travail