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accompli par le Père Perez. Pourtant, il eut encore à pâtir de la mauvaise volonté ou de l’indifférence des Portugais. Le capitan, Pedro de Sylva, un des fils de Vasco de Gama, très honnête homme, devait mettre un navire à sa disposition ou, du moins, lui assurer le passage sur un bateau portugais. François s’en allait presque en ambassade à la cour du Japon. C’était la première fois qu’il emportait d’autres présens que son catéchisme et sa charité. « Le capitan, dit-il, nous pourvut abondamment de tout le nécessaire et nous donna, pour être offerts au roi du Japon, divers objets d’une valeur de deux cents cruzados. » Le capitan les pourvut de tout, sauf d’un navire. Parmi les marchands portugais, les uns n’étaient pas prêts à partir ; les autres ne demandaient pas mieux que de prendre le Père et ses compagnons ; mais ils voulaient s’arrêter en Chine où, malgré l’hostilité du gouvernement chinois, ils trafiquaient sur les côtes. Cette escale l’eût retardé d’un an : il refusa. Et il se dévorait d’impatience, car les Portugais, qui étaient au Japon, avaient écrit qu’il se passait dans ces îles des choses merveilleuses. Il y avait là-bas un grand seigneur qui désirait être chrétien, et des maisons hantées dont les démons s’étaient enfuis depuis qu’on avait planté des croix tout autour. François, dont les lettres contiennent si peu d’anecdotes, recueille avidement ces racontars, qui devaient singulièrement étonner Yagirô, bien qu’en fait d’invraisemblances, les Japonais aient une tendance à ne s’étonner de rien. Enfin on mit la main sur la jonque d’un pirate chinois qui n’était connu que sous le nom de Larron (Ladraô), et qui consentit à le transporter au Japon. Ce pirate était marié à Malaca et y possédait quelques biens. On lui notifia que, s’il manquait à ses engagemens, il perdrait ses biens et, par-dessus le marché, sa femme. Ce fut donc sous la protection du dénommé et bien nommé Voleur, que l’Europe députa son premier Ambassadeur à l’Empereur du Japon.

Et quelle jonque que celle où il monta le soir de la Saint-Jean ! Le vrai patron de la nef était un dieu chinois. Il se tenait à la poupe, dans un tabernacle, enfumé de chandelles et de bâtons d’encens. On ne faisait rien sans le consulter. On l’interrogeait sur la durée du vent, sur les tempêtes à venir, sur la marche à suivre, sur les ports où s’arrêter. Toute la journée, Ladraô remuait des sorts. Les escales succédaient aux escales. On ne profitait pas de la mousson ; et François se voyait déjà