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qui possèdent la confiance des armées et des gouvernans le soin de résoudre un problème aussi compliqué. Eux seuls savent si nos ennemis céderont pour éviter la ruine, et si le blocus de plus en plus resserré suffira pour les contraindre à demander la paix, ou si la supériorité de nos armes doit seule leur arracher l’aveu de leur défaite. D’ailleurs, depuis vingt-trois mois, les prévisions les plus sagaces ont été souvent démenties par les faits ; de ces contradictions déconcertantes, on peut conclure que « l’invisible chef d’orchestre » n’a pas dit son dernier mot. Il n’est pas douteux toutefois que les dirigeans de l’Entente n’aient puissamment hâté le verdict en coordonnant leurs préparatifs, comme nous le voyons, dans les diverses zones d’offensive qu’ils ont choisies, de façon que les Alliés frappent tous ensemble, tous en même temps et tous à plein cœur.


III

En bordure de la frontière provisoire que limitent les tranchées de première ligne, jusque sur les terrains bouleversés où la mort passe sans cesse en sifflant, une population d’autochtones et de réfugiés affairés, résignés et patiens, vit et travaille au fil de l’heure présente. Elle a vu passer et se fixer l’invasion. Les progrès et les reculs imposés ou subis l’ont réjouie ou consternée, selon les vicissitudes des luttes quotidiennes et des grandes batailles où chacun des adversaires semblait jouer son dernier coup de dés. Elle espère et elle attend. La paix la trouvera prête à relever les ruines, d’après les traditions de labeur et d’ordre qui faisaient des régions septentrionales de la France une enviable proie.

Les villages, les bourgs et les cités disséminés dans l’étroite zone où tombent les projectiles ont eu des fortunes bien diverses. Dans les secteurs que la géographie et les combinaisons militaires vouent aux batailles périodiques, partout enfin où le terrain a été disputé pied à pied, les bâtimens modestes, confortables ou luxueux sont transformés en tas de décombres par l’obus égalitaire. Ce qui a échappé au canon et à l’incendie est utilisé au gré de soldats inventifs et pratiques. Quand les habitans, aujourd’hui dispersés au loin,