Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyais les inconvéniens et surtout les difficultés, l’armistice étant rejeté. Mais aujourd’hui, les événemens prennent une telle tournure, et le gouvernement parait s’engager sur une pente si fâcheuse, que mes irrésolutions sont fixées. Nous ne devons pas nous le dissimuler, malgré la résistance héroïque de Paris et quelques succès partiels, la guerre à outrance est odieuse à la France et de toutes parts on aspire à la paix. Le passage tout récent de l’armée de Bourbaki m’en a donné la preuve. On peut dire dans les journaux et dans les réunions publiques que cette armée est pleine d’enthousiasme et d’élan ; cela n’est plus vrai. Il en était tout autrement, il y a un mois, lors du mouvement combiné de Paris et de l’armée de la Loire. Alors, en effet, il y avait beaucoup d’entrain et d’espoir. Depuis que la grande sortie de Paris a avorté et que l’armée de la Loire a battu en retraite, le découragement est partout, et, à moins d’un grand succès qui relève les âmes, l’élan ne renaîtra pas. Il est d’ailleurs évident qu’en envoyant l’armée de Bourbaki dans la Bourgogne et peut-être plus loin, on ne lui fait pas prendre le chemin de Paris. Compte-t-on, pour venir en aide à Trochu, sur Ghanzy et Faidherbe ? C’est possible, et je n’en sais rien. Mais il me paraît bien difficile que Chanzy et Faidherbe, éprouvés comme ils l’ont été, puissent percer les lignes prussiennes et arriver à temps.

Dans cette situation, il n’appartient, ce me semble, qu’à une Assemblée librement élue de dégager le gouvernement des engagemens un peu imprudens qu’il a pris, et de faire les sacrifices nécessaires. Ce n’est certes pas par formalisme parlementaire que je désire une Assemblée. Si le gouvernement, tel qu’il est constitué, voulait et pouvait faire la paix, j’aimerais autant qu’il en prit la responsabilité. Mais il est dominé, d’une part, par les paroles qu’il a prononcées, de l’autre, par les extravagances du Siècle et consorts, et jamais il n’osera revenir sur son programme. Donc il faut venir à son aide. C’est là, je le sais, votre avis depuis longtemps ; c’est celui de Rémusat, celui de Sénard, celui de tous les hommes qui voient les choses de sang-froid et qui ont quelque prévoyance. Après y avoir bien pensé dans ma triste solitude, je m’y range entièrement…

Croyez à ma vieille et sincère amitié.

DUVERGIER.