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M. Mignet au même.


Paris, mardi 10 janvier 1871.

Mon cher ami,

J’ai été bien heureux d’apprendre hier soir que vous étiez tous bien de santé, et à Bordeaux. Cette bonne nouvelle m’est arrivée par la dépêche du 27 décembre qu’a apportée le dernier pigeon parti de Tours avec des nouvelles rassurantes sur les armées de province. La confiance de Paris s’en est accrue. La victoire de Faidherbe à Bapaume, l’habileté de Chanzy et le bon état de son armée, la jonction vers l’Est de Bourbaki et de ses trois corps avec les troupes des généraux Bressoles, Cremer, etc., donnent des espérances que confirme le bombardement, jusqu’ici différé et maintenant précipité de Paris par les Prussiens qui, selon toute apparence, sentent que leur position peut être compromise. Le bombardement est de la dernière violence. Ne comptant plus avoir Paris par la faim, les Prussiens croient s’en rendre maîtres par la terreur. Ils se trompent. Il n’y a aucun effroi et aucun trouble dans Paris, et un surcroît d’indignation. Ils ont bombardé sans prévenir, après avoir tiré pendant cinq jours, du 30 décembre au 4 janvier, sur les forts de Nogent, de Noisy, de Rosny, sans y faire beaucoup de mal, quoiqu’ils aient, du Raincy à Noisy-le-Grand, des batteries formidables armées de canons Krupp. Ils ont commencé à tirer de Châtillon et de Clamart avec des batteries semblables depuis le 5 janvier, jour et nuit, sur les forts du Sud et sur la ville de la rive gauche. Ils ont tiré avec continuité et avec rage, la nuit surtout, pour produire plus d’effet et plus d’épouvante, moins encore sur les forts d’Issy, de Vanves, de Montrouge et sur les remparts que sur la ville. Leurs obus, d’une dimension effroyable, sont tombés partout. Ils ont atteint les hôpitaux comme les maisons, les monumens publics comme tes boutiques des rues. Ils en ont dirigé contre les ambulances du Luxembourg, l’hôpital militaire du Val-de-Grâce, l’hôpital civil de la Pitié, celui des Enfans, le Panthéon, l’église Saint-Etienne du Mont, le Jardin des Plantes. Des blessés, des malades, des enfans ont été tués. Leurs projectiles sont arrivés jusqu’à la rue des Saints-Pères, la rue Saint-André des Arts, près de la rue Dauphine, le boulevard Saint-Michel, la rue Mouffetard. Ils ont animé la