Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on se dirige vers la cave. Des masques contre les gaz asphyxians ont été aussi distribués, et les élèves sont exercés à s’en servir. Aucune inquiétude, aucune bravade non plus dans leur attitude. Quant aux maîtres, presque tous séparés de leur famille ou atteints dans leurs affections, ils n’en laissent rien paraître. Tout le monde travaille comme si on avait l’esprit libre de soucis. On doit au principal et à la directrice d’avoir entretenu, par leur action et leur exemple, ce parfait état de santé morale. Mais Béthune n’a pas été une exception. En général, on se porte bien au front.

Les lycées et collèges de l’académie de Nancy ont eu la bonne fortune, au milieu de leurs épreuves, d’avoir dans leur recteur même, M. Adam, un historiographe. On l’appelait familièrement, en temps de paix, le recteur « frontière, » parce qu’il tenait ferme le drapeau et, au besoin, en agitait les plis. Il ne sera plus bientôt, nous y comptons, le recteur de la frontière. Mais il aura été, en attendant, un admirable recteur du front. Ses récits, que traverse une paternelle émotion, sont d’une dramatique simplicité. Bombardement, descentes dans les caves, dévouemens dont on n’a même plus conscience, et partout le devoir professionnel obstinément accompli, voilà quelle en est la matière, toujours semblable à elle-même. Malgré lui, le lecteur est attiré par les épisodes qui s’y insèrent : un professeur emmené en otage, une maîtresse placée par l’ennemi comme protection en avant de ses troupes ; ou bien une directrice faisant la lecture de journaux allemands au général de Castelnau ; un principal qui reconnaît dans un officier bavarois un de ses anciens élèves et obtient de lui, par des remontrances bourrues, que des vies humaines soient épargnées. C’est cependant de la trame uniforme du récit que ressort encore la plus grande leçon. Qu’un seul professeur aille tour à tour enseigner la philosophie à Commercy, Bar-le-Duc et Nancy ; qu’une maîtresse, ne trouvant plus d’endroit où faire la classe, aille surveiller à domicile la confection de devoirs qu’elle ne saurait renoncer à donner, ce sont là bien petits faits, sans doute, et qui se passent dans le voisinage de grands faits ; mais ce qu’il y a d’important, c’est l’esprit qui anime ces obscurs serviteurs du devoir, c’est le mépris constant du danger, c’est l’exemple qu’ils donnent, c’est la vie qu’ils contribuent à entretenir. A Saint-Dié, les Allemands sommèrent une toute jeune répétitrice d’aller porter