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pénétrée comme elle l’était de la puissance exclusive de la force brutale, elle tira de ces informations trop précises des conclusions prématurées et erronées ; elle crut à l’incapacité militaire, encore plus que politique, de l’Angleterre[1].

Et, à première vue, le tableau que lui offrait l’armée anglaise de 1914 n’était pas de nature à la détourner de son rêve monstrueux d’hégémonie.


L’armée anglaise restait en 1914 ce qu’elle avait toujours été : une armée coloniale, destinée à la défense de l’Empire britannique. Elle se recrutait par l’engagement volontaire, base essentielle de tout service armé à l’extérieur d’un pays On comprend très bien, en effet, l’obligation pour un citoyen de défendre son sol, la terre des ancêtres, la patrie ; mais l’extension de cette obligation, de ce devoir national, à des entreprises de conquête ou de magnificence et à la garde de colonies exotiques, même utiles à la prospérité de la métropole, soulève des objections et des restrictions de conscience ou d’intérêt qui amènent des compromis entre les libres volontés individuelles et les politiques des Etats. L’Angleterre, plus que toute autre nation, par son exceptionnelle situation géographique, était condamnée à résoudre le double problème de son expansion maritime et commerciale et de sa défense insulaire par un système militaire caractéristique. La flotte de guerre, comme la flotte de commerce, devait tenir la première place dans ses préoccupations, et l’armée n’être pour ainsi dire que l’auxiliaire de sa puissance maritime.

Pendant quatre siècles, l’histoire de l’Angleterre se résuma dans sa grande rivalité avec la France ; elle put donc concentrer ses efforts à l’accroissement continu de sa flotte, qui la rendit bientôt maîtresse des mers, et elle ne donna à son armée que les augmentations nécessitées par le développement prodigieux de son empire colonial et par les circonstances. C’est ainsi qu’elle fut contrainte, au cours des grandes guerres

  1. M. Stead, directeur politique du Times, rappelait, dans la conférence qu’il fît à Paris l’hiver dernier, une confidence du roi Charles de Roumanie (un Hohenzollern ! ), en 1911 : « L’Angleterre a une belle petite armée, mais elle n’a pas d’armée de campagne. Il faut qu’elle s’en fasse une. La paix de l’Europe peut en dépendre. »