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seulement toute action offensive sur les côtes de France voisines de l’Angleterre, laissant les croiseurs rapides de Kiel et de Wilhelmshafen courir et écumer les mers. Cette aberration est d’ailleurs du même ordre que celle qui fît croire à l’Etat-major de Berlin qu’il n’aurait qu’à frapper à la porte de la Belgique pour obtenir libre passage vers les Flandres françaises, et que l’Italie se conformerait au traité de dupe qui la liait à son ennemie héréditaire, l’Autriche.

La politique de l’Angleterre, même après que l’Entente de 1904 l’eut rapprochée de la France et plus tard de la Russie, avait bien donné, au cours des dernières années, quelques raisons de croire qu’elle voulait avant tout écarter une guerre européenne, même par des sacrifices d’amour-propre personnel, et qu’elle n’y participerait en tout cas que si elle y était absolument contrainte, et seulement dans une mesure proportionnée à ses intérêts. La doctrine du « splendide isolement » et de l’égoïsme insulaire paraissait rester intangible. L’Allemagne avait constaté l’affaiblissement de la diplomatie anglaise après la mort d’Edouard VII. Dans tous les événemens sensationnels qui troublèrent l’Europe depuis 1904, question du Maroc, révolution jeune-turque, crises et guerres balkaniques, l’Angleterre se montra plus soucieuse d’éviter les conflits et de sauvegarder une paix de plus en plus précaire, que de maintenir le juste équilibre européen qui avait été si longtemps l’objet essentiel de sa politique. Elle l’avait oublié en 1870, elle avait laissé l’Allemagne prendre en Europe une place prépondérante, elle lui avait ouvert inconsciemment la brèche par laquelle le pangermanisme allait envahir l’Orient méditerranéen. Et les fautes commises par les ministres tories étaient aggravées par le parti libéral. Le gouvernement libéral était préoccupé surtout de conserver le pouvoir et d’imposer à la couronne et à la vieille aristocratie des lords les réformes démocratiques qui devaient favoriser une nouvelle évolution sociale. Et en 1914 il était acculé à des difficultés de toute nature, en particulier à la question irlandaise, qui menaçait de tourner au tragique et de dégénérer on guerre civile.

La politique allemande, fondée sur l’espionnage international dont elle tenait tous les fils jusque dans les cabinets ministériels, n’ignorait rien de la situation politique de l’Angleterre, et elle connaissait encore mieux sa situation militaire. Seulement,