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En 1772, elle était chanoinesse de l’abbaye de Sainte-Vandru, en Flandre, et elle avait vingt ans à peine, lorsqu’on lui offrit d’épouser le prince Charles-Edouard, petit-fils de Jacques II, arrière-petit-fils de Charles Ier, l’héritier des Stuarts. Un beau parti, et qu’elle ne refusa point. Mais il n’est si beau parti que tel inconvénient ne gâte. Le prince Charles-Edouard avait de deux ans passé la cinquantaine. Depuis le temps de ses exploits extraordinaires, vingt-sept ans s’étaient écoulés. A l’époque où il débarquait sur le rivage d’Ecosse, presque seul, et bientôt ranimait dans les clans une fidélité ancienne, suscitait une armée de montagnards, entrait dans Edimbourg, triomphait à Preston-Pans et puis, vaincu à la bataille de Culloden, disparaissait et se cachait dans les Orcades, jeune héros glorieux et malheureux, Louise de Stolberg n’était pas née. Tardivement, le fiancé de la chanoinesse est devenu un gros ivrogne. Elle l’épousa, peut-être, pour sa renommée d’autrefois. L’équipée de Charles-Edouard était célèbre : .on avait applaudi à son audace ; on avait plaint son infortune. Sa légende lui faisait une épopée de courage et de mélancolie. Louise de Stolberg épousa le passé du gros ivrogne.

Elle eut à s’en repentir : il la rudoyait et, pris de vin, la dégoûtait. Saint-René Taillandier « voudrait savoir » comment elle fut patiente et bonne, si elle essaya de relever ce prince déchu, de le rappeler au sentiment de lui-même et de sa dignité. Sainte-Beuve n’approuve pas cette exigence ; et il écrit : « Quand un homme a pris l’habitude de tomber ivre mort, il est difficile au cœur ou au bras d’une faible femme de le relever… » Sans doute ! Et il ne s’agit pas de juger cette faible femme, très énergique cependant. Mais, si l’on souhaite de ne pas la méconnaître, il y a une lettre d’elle à son amie Teresa Regoli Mocenni où, dix ans après la mort de Charles-Edouard, elle dit tout simplement et avec une espèce de naïveté : « Je croyais qu’après la mort de mon mari je serais heureuse et tranquille : est arrivée la Révolution, qui me fait-vivre dans une inquiétude perpétuelle sur mes moyens d’existence et de sûreté. Vous voyez donc qu’il n’y a jamais à espérer d’être tranquille. » Ces quelques lignes résument assez bien la philosophie de la comtesse d’Albany. Premièrement, elle avait de nature un idéal de tranquillité dans la vie : alors, il ne fallait point épouser un ancien héros, des plus chimériques, et qui se console de ses déboires en buvant. Elle s’en est aperçue, après avoir cédé au désir d’être reine : et elle a résumé son expérience fâcheuse en croyant qu’il suffit de perdre son mari pour être contente ici-bas. Elle avait compté sans les autres accidens ; elle avait négligé de prévoir que toutes les calamités ne sont