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« conquêtes » de 1915, lui ont aiguisé l’appétit : l’occupation de la Belgique, de dix départemens français, de la Pologne, de la Serbie, du Monténégro, l’a grisée : il n’est pas un docteur d’université qui ne se soit senti l’âme ou l’imagination de Pyrrhus, pas un ingénieur qui n’ait ouvert son compas et mesuré les kilomètres carrés. C’était fini, puisqu’il fallait finir ainsi et ici, pour bien finir. Fini, à la lettre, les fins de la guerre étant remplies. Le vaincu n’avait qu’à s’incliner et à passer sous le joug de l’Allemagne satisfaite, qui lui accorderait une paix à sa mode. On traiterait, en prenant pour base « la carte de la guerre, » laquelle, cela va de soi, n’avait pas de revers, et où ne figureraient ni les mers interdites ni les colonies perdues.

Le chancelier en personne l’annonça au Reichstag, et, par le Reichstag, à qui de droit, aux neutres et au monde. L’instant n’était pas mal choisi, ou du moins pas mal saisi. « Le peuple allemand a atteint le sommet de la montagne et n’a plus à gravir qu’un tout petit tertre pour apercevoir la terre promise de la paix, » a écrit la Deutsche Politik ; lisons « de la paix allemande ; » mais elle l’a écrit trop tard, le 23 juin, après l’offensive de Galicie et la bataille navale du Skagerrak, qui, de la part de la Russie et de l’Angleterre, sont, quoi qu’elle en ait dit, tout autre chose que des actes de désespoir, en pleine contre-offensive italienne, en pleine offensive franco-britannique. Quand M. de Bethmann-Hollweg a parlé, c’était la dernière minute où l’Allemagne était sur la crête ; devant elle, s’allongeait la pente qui redescend, mais elle n’y avait pas encore été poussée; il pouvait donc parler encore d’une paix « ehrenvoll », d’une paix «pleine d’honneur, » c’est-à-dire, en bon allemand, pleine de profit. Cependant, il ne le fit que d’une voix qui parut faible, et d’un cœur qui parut tiède. Il y mêla des accens de mauvaise humeur, se plaignit des gazetiers et des libellistes, et de tous ceux en général qui aggravent comme à plaisir, par des conseils qu’on ne leur demande pas, les difficultés de sa tâche. Nous avons appris récemment, par une indiscrétion du socialiste officiel Scheidemann, que lorsque, non pas hier, mais il y a un an, les. Six Associations économiques présentèrent au chancelier leur programme annexionniste, M. de Bethmann-Hollweg ne leur dissimula pas qu’il le désapprouvait entièrement. Dès ce moment, le chancelier de l’Empire n’avait plus une foi ardente et intacte, il avait des doutes. On ne ferait pas, à la paix, ce qu’on voudrait, mais ce qu’on pourrait. A la grande fureur des pangermanistes, des agrariens, des vieux conservateurs, des hobereaux, des « capitaines d’industrie » et des chefs de bande, des hommes de négoce et