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ressorts de l’État, se propage aux extrémités de la nation. Elle est, pour la Russie en guerre, une de ses plus grande forces, une de ses sécurités.


L’Allemagne, pourtant, a pu croire qu’elle trouverait en Russie des influences favorables et qui agiraient pour elle. Elle espérait, par exemple, avoir convaincu une partie de l’opinion conservatrice que l’Empire allemand représentait à travers le monde les principes de l’ordre et de l’autorité. S’il existe des conservateurs, en Russie, qui nourrissent une illusion pareille, il faut croire qu’ils évitent la société des Français, car je n’en ai pas rencontré. Au surplus, il est notoire que l’Allemagne souhaitait à ses adversaires de l’Est une révolution qui les eût affaiblis, voués au désordre et à la défaite. Longtemps, ses journaux ont eu une rubrique de « la fermentation en Russie » qui, depuis quelques mois, a disparu faute d’alimens. Car l’Allemand est conservateur pour lui-même et révolutionnaire à l’usage des autres. C’est une vérité d’expérience qu’a encore démontrée la machination allemande de Dublin et la tentative de « République irlandaise. » La Russie conservatrice a été sensible à cette preuve. Il n’en est pas moins vrai que la propagande allemande sait très bien souffler le chaud et le froid et, quand l’extrême droite lui manque, se rabattre sur l’extrême gauche. Ainsi, une partie du monde socialiste russe s’est germanisée par l’influence de Karl Marx. Par lui, a été acquise l’indulgence a tout ce qui était allemand et, jusque dans la guerre, c’est la monarchie autoritaire et militaire des Hohenzollern qu’i aura bénéficié des doctrines marxistes chez leurs dociles élèves de la démocratie sociale russe. Il est à remarquer que les groupes libertaires ont réagi tout différemment. Indépendans par les idées, ils sont même, on peut le dire sans raillerie ni paradoxe, les héritiers d’une certaine tradition nationale : la passion des peuples slaves pour la liberté, leur goût pour l’égalité de partage n’a cessé de se manifester au cours de l’histoire… Du fond de l’exil même, les libertaires les plus illustres ont élevé la voix contre l’Allemagne. Leur protestation a été comme l’écho de celle que Bakounine, adversaire de Karl Marx, avait fournie dès 1871 : « L’Empire knoulo-germanique, écrivait Bakounine, que le patriotisme allemand