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Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 34.djvu/936

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autres reprennent en chœur. Hélas ! peu à peu, le chœur faiblit, et plus d’un n’acheva pas le couplet commencé. Enfin, tous les fils de fer sont coupés, et les survivans reçoivent l’ordre de regagner en rampant, et sans chanter, les tranchées françaises. Le réflecteur et la mitraille ennemie les accompagnent, et plusieurs encore s’affaissent en chemin. Ils étaient partis deux cents, ils rentrent quarante. — Et voici enfin un épisode du siège du fort de Troyon. Une pluie de fer et de feu est tombée sur le fort et l’a réduit en ruines. Un parlementaire allemand s’avance pour demander la reddition ; et le dialogue suivant s’engage entre lui et le commandant du fort : « Nous rendre ! Jamais. — Toute résistance est inutile ; nos forces occupent la région, et la forteresse n’est plus qu’une ruine. — Qu’importe ! — Aujourd’hui on vous accordera les honneurs de la guerre, tandis que demain vous devrez vous livrer sans conditions. — Nous vous livrerons nos cadavres, mais jamais vous ne nous aurez vivans. — Pour la troisième fois, rendez-vous ! — Pour la troisième fois, non ! » L’officier allemand paraissait sincèrement et profondément ému. Immobile, contemplant les ruines de Troyon, il resta quelques instans silencieux. Puis, s’adressant à nous tous, il s’écria : « C’est terrible, mais c’est admirable. — C’est le devoir, et rien de plus, » acheva le commandant. Deux heures après, le bombardement recommence ; puis, les Bavarois montent à l’assaut : mais fauchés par l’artillerie française, ils reculent, les renforts arrivent ; la garnison et la position sont sauvées.

Comme tous les autres observateurs étrangers, M. Gomez Carrillo note que « la jolie bravoure française, faite de générosité et d’élégance, » reste humaine, même en pleine action, et qu’elle est toujours équitable pour l’adversaire. Chefs, soldats, tous ceux qu’il interroge, sans exception, rendent hommage au courage des Allemands. « Il n’en est pas un seul qui ne nous ait répondu : Ils sont admirables ! » « Ah ! les bougres, ce sont de rudes soldats ! » s’écrie un vieux colonel que l’écrivain a interviewé au passage. Et un jeune lieutenant d’artillerie, racontant l’attaque d’un pont que défendaient deux batteries de 75 par un régiment de la Garde prussienne, disait : « C’était pitié de les voir tomber en masse, graves et solennels comme s’ils célébraient un rite… Moi, du fond de mon âme, je priais Dieu pour eux… Quelles troupes ! » Les Allemands ne