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vérité, » du Vénitien « la trop caute malice. » Et, au sujet des Vénitiens, de leurs changes, profits et trafics, de leurs gondoles, de leurs femmes, de leurs festins et de leur « vivre solitaire, » il a écrit le sonnet bien connu : « Il fait bon voir... » Un terrible sonnet, que termine la caricature des épousailles de la mer « dont ils sont les maris et le Turc l’adultère. » Le tendre poète d’Olive a rude et vive la satire.

Avant lui, Marot s’est déplu à Venise. Il avait dû quitter la France pour le motif de religion. À Ferrare d’abord, Renée de France, fille de Louis XII, l’accueillit, et l’aida de son crédit, le combla de ses bienfaits. Mais le duc Hercule d’Esté n’approuvait pas un hérétique, et l’approuvait si peu qu’un jour, dans les rues de Ferrare, le poète fut rossé par des garçons que le duc, s’il ne les avait pas chargés d’en faire tant, considéra comme innocenspour le moins. Marot quitta Ferrare, afin de n’être plus accosté par les protégés d’Hercule. Venise avait une renommée de tolérance. Il se réfugia donc à Venise et bientôt s’y trouva très malheureux. Il regrettait, comme Turrin et du Bellay, la France; il regrettait le passé, les amis, ses « maroteaux ; » il regrettait une jeune fille, Anne d’Alençon peut-être. Et puis, en fin de compte, un chacun


Trouve toujours ne sçay quelle douceur
En son pays, qui ne lui veut permettre
De le pouvoir en oubliance mettre.


Encore qu’une fois il se vante : « À Venise, j’ai fait prouesse ! » à Venise il eut perpétuellement nostalgie et rancœur. L’ « étang salé vénitien » lui fut très fastidieux. Et il craignit qu’à longtemps vivre en compagnie étrangère, il ne perdit son style ou son talent : a’is à tel ou telle qui, aimant ses rimes françaises, jugerait bon de lui rouvrir les portes de France. Il supplie la duchesse de Ferrare, qui peut le seconder. Renée de France, duchesse de Ferrare, ainsi que lui, est huguenote. Quand il écrit à cette princesse et très illustre dame, il ne manque pas de montrer comme le scandalise la vie païenne de Venise. Les Vénitiens, il l’avoue, sont habiles à tout ce qui doit « le corps et l’œil satisfaire ; » mais ils ne songent pas qu’ils ont une âme au corps.


Dont il s’ensuit qu’ils n’élèvent leurs yeux
Plus tiaut ni loin que les terrestres lieux
Et que jamais espoir ne les convie
Au grand festin de réternelle vie…


Les cérémonies religieuses et l’apparat de la prière, à Saint-Marc,