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LES MARAIS DE SAINT-GOND.

col tendu, « comme des clous, » vers le Sud. C’est presque la mélancolie de certaines régions bretonnes, comme l’immense lande de Lanvaux, à peine défrichée elle aussi, semée de maigres sapinières, mais une mélancolie plus sèche, sans brouillards et sans eaux vives. Et précisément les troupes qui se battent ici sont surtout des troupes de Vannes (116e) et de Lorient (62e). De quelle manière elles se sont comportées, ces milliers de tombes allemandes et françaises tout le long de la route de Lenharrée l’apprennent au passant, à qui elles font une tragique escorte des deux côtés du chemin. Lenharrée, le nom même sonne breton. Ici, un peu plus tard, d’autres unités des régimens de l’Ouest sont tombées, du 19e de Brest, du 248e de Guingamp, du 247e de Saint-Malo, mêlées à des élémens du 225e de Cherbourg. « Il faut culbuter ces gens-là ou se faire tuer, » avait dit Foch à « ses » Bretons, en leur montrant les « grenadiers de la vieille Prusse. » — « Bien, » répondirent-ils seulement[1]. Il n’était pas jusqu’à la 9e division de cavalerie qui, dans le léger engagement qu’elle avait eu près de Coole avec des forces de cavalerie saxonne, appuyées d’artillerie et d’infanterie, n’eût attesté le mordant de ses escadrons.

Sur un point seulement de notre ligne, le soir du 6, nous avons marqué un recul appréciable : Broussy-le-Grand, le Mesnil-Broussy, Broussy-le-Petit, sont perdus. L’ennemi a pris pied sur la rive méridionale des marais ; mais il n’y tient qu’une tête de chaussée et sa vague viendra battre inutilement les pentes du Mont-Août, grande articulation solitaire, pareille à une lie, qui domine de ses 211 mètres de haut la vaste étendue marécageuse. Jusqu’à la fin de la bataille, le Mont-Août nous appartiendra, et le 9e corps y trouvera le plus solide des épaulemens. Foch, rédigeant dans la nuit même son ordre du 7, pouvait parler sans exagération des « résultats obtenus sur un ennemi fortement éprouvé et aventuré[2]. »

  1. « Ses » Bretons ! Le possessif est de l’abbé Néret. Il peut étonner quand on sait que Foch est Pyrénéen ; il étonne moins ceux qui savent, en outre, que le général est entré par mariage dans une famille bretonne et qu’il a lui-même sa résidence favorite aux portes de Morlaix, en pleine région finistérienne.
  2. « Le Général Commandant compte que toutes les troupes de la 9e armée déploieront la plus grande activité et la plus forte énergie pour étendre et maintenir de façon indiscutable les résultats obtenus sur un ennemi fortement éprouvé et aventuré. » (Ordre du jour du 7.)