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au génie latin que l’hypocrisie politique et religieuse de nos ennemis, nous tâcherons du moins de nous procurer entre nous et de procurer aux autres plus de vraie tolérance et plus de vraie liberté. Ce ne serait pas la peine de détrôner l’impérialisme de la Culture germanique, pour le remplacer par un autre qui serait une égale menace pour les peuples, en les inquiétant dans leurs traditions et dans leurs croyances. Si nous consentons à orienter notre effort en ce sens, — et l’on peut tout ce que l’on veut : la guerre actuelle le démontre une fois de plus, — il en résultera tout un renouvellement pour les pays latins.

Pour nous, Français, on peut en prévoir les conséquences, qui s’étendront logiquement et qui se propageront dans tous les domaines de la vie nationale. Avec cette reprise de l’action, — non plus motif de rhétorique, mais action vraiment agissante, — ce sera la fin de la maladie qui, depuis un demi-siècle bientôt, affectait chez nous l’esprit public : ce dilettantisme inconscient qui sévissait sur nous tous indistinctement, et qui était tellement cultivé et entretenu par notre éducation, qu’il nous était devenu comme une seconde nature. Le monde cessera de n’être à nos yeux qu’un spectacle, une illusion à transposer dans l’art, pour nous dicter avant tout des raisons d’agir. La littérature elle-même en sera rajeunie. A travers tous les agrémens qu’on voudra, elle visera à la pratique, comme à sa fin suprême. En cela, nous serons vraiment des classiques, et non plus des pasticheurs du classicisme ; nous continuerons la tradition de nos ancêtres du XVIIe siècle, qui demandaient à un livre non seulement d’être fait de main d’ouvrier, mais de laisser au lecteur un bénéfice d’âme et d’esprit, c’est-à-dire, en somme, d’être un stimulant de l’action. On ne pense normalement que pour agir. Le mystique lui-même ne cherche dans la contemplation que les motifs d’un amour plus grand, d’une charité plus grande, à l’égard de Dieu et d’autrui, et la règle de tout un travail obstiné et douloureux de réforme intérieure. Et ainsi, l’action ne sera plus « la sœur du Rêve, » comme se plaisaient à le chanter les poètes du dernier siècle : elle sera la fille, — l’enfant naturel et légitime, — du Rêve. Notre natalité elle-même s’en relèvera, par la seule raison qu’on n’aura plus peur de l’avenir et qu’un travail plus intense et plus intelligent assurera une vie plus large. Ce relèvement ne peut être que le fruit de la victoire, et du renouveau, de la libération triomphante