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bourdonnaient dans les intervalles de clarté. Çà et là, on rencontrait une sentinelle ou une corvée, troublant de leurs pas cette végétation de forêt vierge. Pas un coup de fusil ; parfois, seulement, un obus passait, comme un intrus. Sans ce rappel, on aurait pu croire à cet arrêt de la vie que le promeneur remarque dans les campagnes le dimanche. Autrefois, ce coin de sol fut violemment disputé et arrosé de sang. Autrefois : y a-t-il donc si longtemps ?

Dans la cagna soigneusement recouverte, il faisait une fraîcheur de cave assez appréciable. Un certain confort y régnait : des fauteuils, une table et, sur cette table, une photographie, des plans, des cartes. Le goût du home reprend si vite l’errant. L’abri banal qu’il faudra quitter demain devient en quelques instans et pour quelques instans un intérieur. Ce que le 142e a fait dans ces mémorables journées de juin, je l’ai su là, de la bouche de son chef, soucieux d’en parler avec équité et de contenir l’élan qui le portait à glorifier ses hommes ; je l’ai su de la bouche de ces hommes qui étaient revenus de si loin. Si l’on n’a pas vu soi-même, il reste à interroger ceux qui ont vu.

Lorsqu’il vint occuper son poste le 2 juin, à 6 heures, une partie de ses troupes, mises à la disposition du précédent commandement, était déjà en ligne. Le 2e bataillon (commandant Chevassu) formait d’une compagnie (la 6e) la garnison du fort dont il tenait les abords au Nord et à l’Est avec les 7e, 8e et 5e. Le l1er bataillon occupait Damloup et la batterie de Damloup, le 3e (commandant Bouin), Dicourt et la Laufée. La nuit avait été très agitée. Le fort avait subi des assauts. De mauvais bruits couraient : le fort aurait été pris, on aurait aperçu des ombres sur le terre-plein. Les gaz d’innombrables obus asphyxians empoisonnaient encore l’atmosphère au lever du jour : dans les ravins, spécialement dans le fond de la Horgne, leurs nuages tramaient, pareils à ces buées qui montent le matin de la terre humide.

A 8 heures, un sergent accourt tout suant, essoufflé, effaré.

— Damloup est perdu. Les Boches arrivent.

Il faut prendre des mesures immédiates. Un tir de barrage est demandé à l’artillerie en avant et à l’Est de Damloup et dans le ravin de la Horgne, de façon à empêcher toute progression