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de l’instant présent, ce qui persiste, ce qui demeure inébranlable et pur, c’est son amour pour son devoir et pour le pays qu’il défend. « Je ne serais jamais satisfait si je ne m’acquittais de mon devoir jusqu’où il le faudra… » « Ceux qui offrent leur vie à la Patrie de gaieté de cœur n’ont pas besoin d’être plaints. »


Il connaît aussi de belles heures ; l’âpre joie de l’action et de la vie rude, la camaraderie, le gai Noël, le joyeux jour de l’An dans la tranchée, le plaisir des lettres et des paquets familiaux, la tendresse et l’amour des siens qui l’environnent, malgré la séparation, l’arrivée d’un compatriote ami, et les beaux momens solitaires, de réflexions lucides, de songeries, de contemplations, de méditations et de pensées qui très vite redeviennent aussitôt en lui musicales. « J’achève ma journée en me rappelant aussi certains chants chargés de bonheur. Je m’abandonne à mes rêveries. Je suis à la fois content de vivre et la mort ne me fait pas peur… » « Je fais aussi quelquefois ce travail-là à la nuit, au-devant de nos tranchées (à un kilomètre des Boches tout de même, et cela aussi a son charme, celui du danger) car les réflecteurs vous cherchent et les balles vibrent de temps en temps comme une corde de guitare. »

Et ces lignes enthousiastes sur la « musique » du 75 :

« Quelle arme que ce merveilleux petit canon ! De la tranchée où nous sommes, nous l’entendons claquer à peu près de deux kilomètres en arrière et pourtant le coup semble tout proche. C’est un coup sec et métallique dont la vibration, répercutée par les bois, sonne comme une corde de harpe. Il domine tout de sa voix brève et pénétrante. C’est comme le coup de fouet du dompteur soumettant le fauve… » Et, dans une autre lettre : « On ne peut se lasser de sa détonation. Elle remplace les clairons caducs. C’est la France elle-même, notre orgueil et notre égide. Le 75 est un témoignage du génie français de la même nature qu’une phrase de Flaubert, un vers de Baudelaire, une perspective de Paris ou un passage de Franck. Il a la simplicité idéale, la finesse, la mesure, et la portée suprême… »


Pour Noël 1914, il eut la grande joie d’être versé, ainsi qu’il