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Malgré son ardeur et son courage, il connaît, lorsqu’il est au front, certaines âpres tristesses ; une surtout : « La Légion, c’est encore et toujours la Tour de Babel où l’on écorche d’abominable façon cette admirable langue que j’aime tant. » Ce cher langage de France ! de quel amour il le chérit et avec quelle grave volupté il exprime avec ses mots les plus nobles de ses pensées :

« Je suis fatigué, non du travail matériel, mais de mon isolement dans un milieu qui n’est pas le mien, où même j’inspire une certaine envie ou une certaine compassion, où je suis presque une gêne. Cela, je te le dis sans dissimulation parce que j’ai la force de le supporter. Mais les jours me paraissent longs parfois… » Et bien vite, avec cette abnégation si haute qui est en lui, il constate sans regrets : « Quand je me suis engagé, j’avais parfaitement conscience qu’il me faudrait faire abstraction complète de ma personnalité et de ma personne… »

Parfois aussi les lumineux atavismes le tourmentent. D’abord le regret de la chaleur et de la clarté : « La nostalgie du soleil est un de nos sentimens les plus justes et les plus invétérés. À quel point je l’ai ressenti ici où, plus que quiconque du monde civilisé, je vis à même la nature. Je n’oublierai jamais la tristesse frigide des premières soirées de novembre passées ainsi : la disparition des dernières lueurs rouges de l’Occident, l’horreur des longues ténèbres. De même, les jours où le soleil se cache sont ici particulièrement moroses, alors que le moindre rayon nous remplit d’orgueil et de joie. Nous vaincrons dans le soleil caniculaire… »

Ensuite dans la rude monotonie journalière, il rêve de départ pour l’Orient, les Dardanelles… Le vieux sang des Conquistadors

le brûle et l’agite : « … Partir à la conquête de l’Orient m’éblouit. La Méditerranée danse à mes yeux toute parée d’azur et d’or et Constantinople m’attire comme un étendard de soie dont je verrais chatoyer au vent les plis colorés… Il faut de ces mirages pour pouvoir persévérer dans la guerre… »

Il pense aussi à l’aviation qui l’a toujours particulièrement passionné. Un de ses plus jeunes et beaux poèmes fut écrit à la louange ailée de l’aéroplane. Mais à travers ces projets, ces aspirations, ces rêves, cette poésie qui toujours le projette en dehors