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de la gaine Ouest. Une fumée « acre et noire » remplit le fort. Pour respirer, la garnison doit déblinder les fenêtres de la caserne. Le feu arrive jusqu’au couloir des chambres. Quelques soldats sautent même dans le fossé pour reprendre haleine. Les mitrailleuses installées sur le fort ont été détruites le matin par notre artillerie. Le tir de barrage coupe les issues un peu plus au Sud. Tranquillement, ils regagnent l’intérieur, mais il faut refermer les fenêtres. L’ennemi balance des sacs de grenades à fusée retardée qu’il envoie dans les ouvertures et tente de faire sauter ainsi les plaques de blindage.

Cependant, il a progressé dans le coffre simple du Nord-Est. Il a fallu refluer de quelques mètres dans le couloir, mais en deçà des cabinets d’aisance. Les malades, les blessés doivent se soulager sur place. Les brancardiers ont profité de la destruction des mitrailleuses ennemies installées sur le fort pour sortir des cadavres dans le fossé Sud, pour nettoyer l’infirmerie de toutes les immondices. Dès la nuit suivante, ce travail leur deviendra impossible. Les morts devront demeurer avec les vivans. Une horreur sans nom envahit ces voûtes à demi obscures où, dans une atmosphère méphitique et épaisse, une garnison sans sommeil, angoissée et altérée, s’entasse et veut lutter encore.

Il a suffi d’un homme, le lieutenant Bazy, debout et dressé, comme un dieu dans la fumée, au milieu du couloir, le bras gauche en écharpe, le bras droit lançant des grenades, barrant la route à l’ennemi, pour conjurer l’attaque par les flammes. Il suffit du commandant, de quelques officiers et sous-officiers, de quelques soldats d’élite pour que subsistent, parmi ces souffrances, une seule pensée, un seul but : tenir.

Le fort est séparé du reste du monde, son dernier pigeon a été lâché la veille, et ses signaux ne sont pas transmis. Mais, la nuit venue, deux signaleurs bondissent dans le fossé : ils vont rétablir les communications.

Le lendemain, l’appel du fort est entendu.


IX. — LA SORTIE

Le 4 juin, la ration d’eau a été d’un quart. Un quart de litre pour des hommes qui se sont battus et se battent dans la fumée des grenades, des flammenwerfer, des gaz asphyxians ! Un quart de litre pour des fiévreux qui s’agitent, au poste de