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secours bonde, entre des mourans et des morts ! Les plaintes montent, suppliantes, lamentables. Mais le silence se rétablit instantanément dès que paraît le commandant Raynal. Un quart, et rien de plus. Qui donc a réclamé davantage ? Un quart, c’est déjà beaucoup. Les blessés eux-mêmes se résignent.

Le commandant a dénombré la garnison. Tout ce qui n’en fait pas régulièrement partie devra quitter le fort. A la faveur de la nuit, la sortie sera tentée, soit par le fossé Sud en sautant des fenêtres de la caserne, soit par le coffre Sud-Ouest qui n’appartient pas à l’ennemi.

L’ordre est formel. Ceux qui doivent partir essaient à la lumière du jour de mesurer les difficultés de l’entreprise : y a-t-il sur le fort des mitrailleuses et des guetteurs ? Les tirs de barrage allemands, à quelle distance et dans quelle direction sont-ils déclenchés ? La sortie est bien chanceuse, mais les Français ne doivent pas être bien loin.

A dix heures et demie du soir, les premiers qui sautent dans le fossé sont des volontaires : les deux signaleurs qui vont rétablir les communications. Le cœur battant, les camarades écoutent : le bruit de la chute, puis le silence, pas de coups de fusil, pas de fusée, le bombardement habituel, rien de plus. Ils n’ont pas été repérés.

Les détachemens du 101e et du 142e dont le départ est fixé, sont rassemblés.

— Allez, leur dit le commandant Raynal, et si vous échappez, dites quelles sont notre situation et notre résistance.

Les deux groupes saluent. C’est le moment de la sortie. Il est une heure et demie du matin et il semble que le marmitage soit en décroissance. L’aspirant Buffet commande le détachement du 142e Il utilise une brèche découverte à la corne Sud-Ouest et descend le premier, suivi d’un coureur et du caporal-fourrier. La compagnie s’égaillera derrière eux en laissant des intervalles pour ne pas attirer l’attention. Un caillou a roulé et les guetteurs allemands, du haut du fort, mis en éveil, lancent des fusées et font feu. Presque aussitôt, leur artillerie exécute un effroyable tir de barrage aux abords immédiats du fort. L’aspirant a passé, suivi d’un petit groupe. Ils arrivent aux lignes françaises qui sont toutes proches. Le premier reçoit un coup de fusil qui le manque. Il se fait reconnaître, non sans peine. On s’explique, on s’embrasse, tandis que le bombardement fait