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Le brancardier Roger Vanier, du 101e régiment, a reçu la médaille militaire pour sa conduite au bois Sabot les 26, 27 et 28 février 1915 avec ce motif : « A fait preuve d’un dévouement et d’un courage héroïques. S’est dépensé pendant trois jours et trois nuits sans prendre de repos. Est allé à plusieurs reprises sous le feu de l’ennemi chercher des blessés entre les tranchées françaises et allemandes et les a ramenés. A fait en même temps l’identification de nombreux tués. A fait l’admiration du bataillon pour lequel il s’est ainsi dévoué. Etait du service auxiliaire à la mobilisation et a demandé à partir. » Le général Joffre le décore en personne le 25 mars (1915) à Courtisols. A la bataille de Champagne, le 21 septembre, il est cité à l’ordre du corps d’armée : « Voyant quelques camarades hésiter à sortir de la tranchée pour l’attaque, enleva son brassard de la Croix-Rouge, monta sur le parapet en criant : « En avant ! » et fut alors blessé d’une balle à la jambe. » Il appartient à la classe 1916 : taille moyenne, plutôt délicat de santé, le teint brun, une ombre de moustache, la figure ouverte, ardente, comme échauffée par l’expression des yeux. « Dans le danger, me dit-il, je ne me connais plus : il faut que j’aille. » Et il va. Il est né d’une famille modeste à Montfort-l’Amaury. Un de ses frères, séminariste, caporal téléphoniste au 146° régiment, a été tué le 2 mars devant Douaumont : la jambe brisée par un obus, il a été transporté au ravin des Fontaines où il a expiré peu après. Son corps est resté là. Le brancardier du 101e, venu à son tour dans la région de Vaux, aurait pu se trouver face à face avec le cadavre quand il allait chercher de l’eau dans le ravin.

Qui donc a formé ces cœurs-là ? Vanier porte toujours sur lui une lettre de sa mère. La bonne femme de Montfort l’Amaury lui écrit le 29 février d’une orthographe hésitante et d’un cœur résolu : « … Je sait que ton pauvre frère est à Verdun, c’est-à-dire à l’honneur, car, que c’est beau pour l’armée française de tenir là cette horde de sauvages ; comme il doit être heureux, notre loup, de voir la guerre hors des tranchées ! Oh, que c’est grand ! Je n’ai toujours rien de lui, mais il ne peut pas sans doute. J’ai toujours un grand espoir qu’il n’y arrivera rien. Et toi, mon trésor, tu dois avoir beaucoup à faire, soit bien prudent, mon chéri, mais de plus en plus courageux. Sauve tous ces malheureux blessés resté là dans la neige et le sang. Le mien bouillonne de rester là pendant qu’il y a tant