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gorge a rencontré les mêmes obstacles. Elle a, quelques instans, encerclé le fort, mais n’a pas pu se maintenir. Un tir de notre artillerie sur la superstructure, pour y démolir les mitrailleuses ennemies, l’a gênée elle-même. Elle a dû, elle aussi, se rabattre sur les positions de départ.

Avec quelle angoisse, de l’intérieur du fort, les différentes phases de l’action ont été suivies ! Sentir que les camarades approchent, qu’ils sont là, qu’ils apportent la délivrance, et puisqu’ils échouent au port, quels tressaillemens d’espérance et quelle déception ! A six heures vingt minutes du matin, le 6 juin, ce message, brouillé à demi, est transmis du fort :

... sans avoir obtenu objectifs. Mitrailleuses ennemies au-dessus du fort : celles-ci auraient dû être battues par obus.

Où sont-elles, ces mystérieuses mitrailleuses que notre artillerie ne parvient pas à détruire ? Dans quel angle embusquées ? Sous quel abri ? C’est là un compte rendu de la bataille telle que, du fort, on a pu l’observer. Quelques minutes plus tard, le fort, à nouveau, parle. Cette fois, il donne à ses paroles la majesté de l’honneur et la tristesse de l’agonie résignée.

Rouvrez la Chanson de Roland, aux versets où Roland, vainqueur, mais grièvement blessé, se traîne dans le val de Roncevaux à la recherche des pairs de France et ramène un à un leurs cadavres aux pieds de l’archevêque Turpin qui leur donnera la bénédiction suprême :


Roland s’en va. Seul il parcourt le champ de bataille, bat la vallée et bat les monts. Il trouve Gérin et son compagnon Gérier, il trouve Bérenger et Otton, il trouve Anséis et Samson, il trouve le vieux Gérard, comte- de Roussillon. Il emporte les barons un à un, revient avec eux vers l’archevêque, et les dépose en rangs à ses genoux...

Roland retourne et va battre la plaine. Il a trouvé son ami Olivier, il l’a serré étroitement sur son cœur et, comme il peut, revient vers, l’archevêque...


Le fort de Vaux, après l’insuccès de la dernière tentative de délivrance, ne sait plus combien d’heures ou de minutes il lui reste à vivre. Dans un message qui ressemble à un testament, le commandant rassemble les noms de ses vaillans compagnons d’armes, rend hommage à ses hommes et les offre au commandement. A six heures et demie, ses signaux transmettent ce message :