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occupèrent ces positions avec les mitrailleuses conquises contre une attaque possible venant du Sud-Ouest.

« Vers dix-neuf heures, on poussa plus avant vers la gorge du fort, après avoir franchi, derrière le premier parapet, le second fossé qui, sous le bombardement, était devenu une excavation large où gisaient d’énormes débris de béton. Les coupoles blindées situées dans le premier parapet, — un poste d’observation à chacun des deux épaulemens, une grande coupole au milieu, armée de deux canons, et un abri de mitrailleuse exhaussé et blindé, à l’épaulement de gauche, — étaient inutilisables et dépouillées de leur épais revêtement de béton ; les tiges de fer de l’armature se dressaient de tous côtés comme les piquans d’un hérisson. De même la position d’infanterie placée plus haut sur le cavalier avait été complètement labourée par les obus allemands.

« Alors le commandant des pionniers voulut pénétrer dans l’ouvrage même, et cela par le même couloir souterrain qu’avait suivi la garnison du coffre enfumé. Un escalier descendait profondément, puis venait un court palier, puis un raide escalier montant jusqu’à une solide porte de chêne qui empêchait d’aller plus loin. Le lieutenant des pionniers Ruberg décida de faire sauter cette porte en y plaçant tout ce qu’il fallait de grenades à main et de mettre à profit la confusion qui s’ensuivrait pour donner l’assaut avec ses soldats. Pour n’être pas elle-même anéantie par l’explosion, il fallait que la troupe gagnât assez de temps pour pouvoir, la mèche une fois allumée, descendre l’escalier et remonter de l’autre côté, ce qui exigeait au moins un cordon brûlant vingt secondes. Le lieutenant Ruberg, à défaut de pétards explosifs, lia donc ensemble une douzaine de grenades ; il les assujettissait contre la lourde porte, lorsqu’il entendit derrière celle-ci le chuchotement des Français et le petit crépitement significatif d’un cordon Bickford. Il n’avait donc plus le temps de la réflexion, car en une demi-minute au plus, la porte allait sauter du dedans, et les Français auraient dans ce cas la supériorité morale de l’assaut. Il fallait donc les devancer. Le lieutenant fit signe à ses hommes de se garer, tira le détonateur normal d’une des grenades à main, qui fonctionne en cinq secondes, et se jeta au bas de l’escalier pour n’être pas mis en pièces. Il était à mi-chemin quand se produisit une formidable explosion : la charge posée par les Français sautait